En cette période agitée pour l’Europe et la zone euro, le secteur de l’immobilier cherche actuellement ses repères. PwC vient d’organiser sa conférence annuelle sur l’immobilier en Europe à Amsterdam. Un rendez-vous qui a permis de prendre la température du secteur. Dans les discours et les discussions, la principale interrogation n’était pas tellement de savoir où le secteur se situait mais plutôt vers où il se dirigeait. Alors que l’immobilier a toujours été un secteur où les développements à moyen et long terme étaient relativement prévisibles, tout comme les grandes tendances dans cette activité cyclique, beaucoup d’acteurs sont aujourd’hui arrivés à une situation où ces grandes tendances seraient moins prévisibles qu’auparavant.
Au regard de l’état actuel du marché et de ce qui a marqué le secteur en 2011, l’incertitude et la volatilité sont les impressions qui prédominent. Au fil des mois et des annonces négatives successives, la confiance s’est dégradée et l’incertitude s’est à nouveau installée avec comme conséquence une réorientation des investisseurs vers les domaines aux risques moindres. En début d’année, l’étude Emerging Trends in Real Estate menée en collaboration avec l’ULI1, fondée sur les interviews de plus de 600 professionnels de l’immobilier en Europe, prévoyait un scénario clair et très dépendant de l’évolution de la situation économique : « s’adapter ou disparaître ». Ce scénario se voulait aussi visionnaire. La peur de la dissolution de la zone euro se ressent en effet dans tous les secteurs. Le marché craint qu’un événement hors de contrôle ne se produise, avec comme conséquence immédiate le report de nombreuses transactions prévues en attendant une situation davantage sereine. En 2011, une certaine activité transactionnelle a été constatée. Elle était essentiellement liée aux choix des acteurs institutionnels disposant de liquidités et considérant les actifs immobiliers de qualité comme une classe stable d’investissement. Les transactions sur les actifs core financés avec un endettement plus faible ont soutenu le marché pendant la première partie de l’année, avant de s’étioler progressivement. En parallèle, on a pu observer d’autres changements dans le secteur, notamment qu’un certain nombre d’acteurs se détournent de la détention immobilière directe et optent pour le financement immobilier et/ou la gestion d’investissements immobiliers pour des tiers. À l’inverse d’autres acteurs semblent prêt à prendre la relève.
Les prévisions concernant l’investissement pour l’année à venir varient d’une perspective de croissance lente à nulle en fonction des secteurs et des pays, sur fond de pessimisme accru par rapport à l’an dernier. Concrètement, la tendance attendue en Europe est de voir les acteurs continuer à se focaliser sur les actifs core avec un faible endettement tout en restant à l’affût des opportunités dans les autres secteurs.
Les bons investissements dans l’immobilier devraient être récompensés, et on attend également beaucoup des stratégies de refinancement (comme par exemple les fonds de dettes). Malgré les difficultés rencontrées par l’Union européenne, de nouveaux acteurs non-européens devraient venir y saisir des opportunités, même si cette zone apparaît actuellement comme moins attrayante que l’Asie ou d’autres régions du monde. Une hausse d’activité dans la vente de portefeuilles d’actifs dépréciés (distressed assets) détenus par les banques est également à prévoir. Néanmoins, les anticipations d’évolution et les différents scénarios envisageables sont extrêmement difficiles à déterminer, compte tenu des incertitudes significatives liées à la situation économique globale. Le marché des bureaux d’affaires en Europe notamment pourrait être très touché par une potentielle récession à « double-creux ».
Si la plupart des grandes tendances décrites ci-dessus ont, et vont influencer, la situation du marché luxembourgeois de l’immobilier, on peut constater cependant que l’année 2011 a été meilleure et plus stable au Luxembourg que pour la plupart des autres marchés européens. Avec une prise en occupation qui a presque doublé par rapport à l’année dernière et des transactions en forte augmentation, le marché de l’immobilier de bureaux au Luxembourg s’est très bien comporté en 2011. Le taux de vacance reste stable aux alentours de 6,5%, soit près de 2% en dessous de celui de l’année dernière et largement inférieur à celui des autres villes européennes. Les loyers sont stables et pourraient évoluer favorablement en raison du faible niveau des stocks disponibles pour 2011 et 2012. Il faudra attendre 2013 pour commencer à retrouver une légère augmentation des stocks au vu de la prudence affichée par les investisseurs dans le lancement de nouveaux projets.
Du côté des financements et des capitaux d’investissement, la plupart des acteurs estiment que les opportunités existent et que les liquidités sont disponibles dans le marché, notamment auprès d’investisseurs qui souhaitent jouer un rôle dans la restructuration de l’industrie. Les conditions ont cependant évolué tant pour les investissements en capitaux que pour le financement. Les nouvelles règles exigent des valeurs refuges sous des conditions plus strictes. Le financement du secteur immobilier reste donc une vraie problématique encore renforcée ces derniers mois par la crise de la dette souveraine et l’impact que celle-ci a et peut avoir sur les établissements de crédit. Le retrait pur et simple ou partiel de certaines banques du financement immobilier ainsi que les futures exigences de Bâle III rendent cette problématique plus aigüe encore et ouvrent la voie à de nouveaux acteurs et de nouvelles alternatives de financement. Il se peut qu’il n’y ait pas de pénurie de financement, lorsque que les ratios Loan to Value sont en-dessous de 50 pour cent, mais il y a une nécessité de reconnaître l’évaluation correcte des actifs.
Le marché évolue également vers un nombre croissant de nouvelles alliances entre les investisseurs en capitaux et des gestionnaires spécialisés. Par le passé, les acteurs institutionnels étaient présents sur le marché via des véhicules de placement spécialisés, sans réels droits de regard, alors qu’à présent ils déploient de plus en plus leurs capitaux directement ou en co-investissant avec des partenaires spécialisés. On peut également constater une augmentation exponentielle de la profondeur et la diversité des capitaux asiatiques à destination de l’Europe.
La réglementation du secteur est un autre sujet d’actualité, notamment avec les récentes dernières nouvelles sur la directive AIFM. L’ESMA a en effet donné plus de recommandations sur la mise en œuvre de cette directive qui permettent d’apprécier plus précisément l’impact que cette dernière va avoir sur l’organisation des acteurs de l’immobilier (notamment les gestionnaires) et la distribution de leur véhicules. À côté de cette directive, plusieurs autres règlementations vont avoir des répercussions significatives sur l’organisation et l’orientation du marché immobilier dans le futur. Tout d’abord, la réglementation Solvency II pour les compagnies d’assurances va probablement avoir des répercussions sur l’intérêt des assureurs pour les véhicules immobiliers non-côtés essentiellement et ouvrir des perspectives intéressantes au niveau des véhicules détenant des prêts immobiliers.
Il s’agit d’une nouvelle voie complémentaire pour le financement de l’immobilier et on peut déjà voir un certain nombre de produits de ce genre commercialisés avec succès par des assureurs. Mais il y a encore beaucoup à faire pour rattraper les États-Unis.
Les exigences croissantes concernant le développement durable constituent un autre volet réglementaire important pour l’immobilier. Depuis maintenant deux ans, un intérêt grandissant pour le développement durable a vu le jour, et pour se conformer aux futures exigences de ce secteur, il est important de prendre ce point en compte. Dans le même temps, le développement durable devient un must à prendre en considération pour des raisons économiques. Les bâtiments verts, tant nouveaux qu’anciens à adapter, représentent l’avenir. Les nombreux programmes certifiés qui sont en train de voir le jour au Luxembourg (Belval, Kirch[-]berg, Gasperich, …) en témoignent aisément. Les investisseurs se garantissent ainsi une obsolescence moins rapide des actifs au vue de l’évolution attendue de la législation européenne (taxe Carbone, bâtiment à énergie positive, reporting extra financier sur les actifs détenus, …).
S’il est déjà difficile de prévoir le futur proche du marché immobilier, quelles sont les perspectives envisageables pour le secteur à moyen terme, sur cinq ans par exemple ? Le secteur européen de l’immobilier va probablement traverser une autre phase de consolidation que les petits acteurs auront des difficultés à surmonter. Cela est notamment dû à des exigences de réglementation de plus en plus nombreuses, « lourdes » dans leur mise en œuvre et qui vont faire augmenter les coûts et la pression exercée sur les profits. Dans le même temps, une grande partie du volume des transactions immobilières reste attribuée à des petits acteurs locaux, ce qui n’est pas le cas pour les transactions plus orientées vers l’international et ce qui devrait amener les gestionnaires de fonds à jouer le rôle d’intermédiaire. On peut y ajouter la tendance qu’ont les investisseurs à vouloir plus contrôler et donc à s’impliquer davantage... Quant à savoir si l’immobilier continuera à être perçu et à se comporter comme une barrière de protection contre l’inflation, cela pourrait bien déterminer son intérêt en tant que classe d’actifs. En ce qui concerne les types d’actifs, le retail doit intégrer Internet : comme il s’en est vraiment bien sorti durant ces dernières années de crise, les prévisions semblent s’orienter vers une position moins favorable. Dans le futur, les banques ne seront peut-être plus attirées par l’immobilier, ce qui pourrait changer le rôle des investisseurs également.
Les acteurs qui seront capables de développer une vision à moyen terme et qui pourront appréhender et s’adapter très rapidement aux évolutions de ce marché devraient être les gagnants dans le futur.
Pour l’année à venir, les principaux défis au niveau européen restent les questions de (re-) financement ainsi que celles de trouver, pour les investisseurs, de nouveaux produits attractifs, adaptés aux nouvelles réglementations, le tout dans un marché où les actifs core deviennent rares et les actifs secondaires restent inintéressants. Il y aura encore très certainement des changements et d’autres reconfigurations au niveau des acteurs du marché. En 2012, l’impact, et encore plus l’incertitude, de la crise mondiale restera le principal facteur déterminant pour l’activité du marché immobilier. Cependant, en ces temps difficiles, restent ceux qui ont des liquidités et le cran pour agir. Des opportunités seront à saisir et 2012 promet d’être une année intéressante, quelle que soit la direction que l’économie va prendre, quelles que soient les turbulences traversées par la zone euro.