« À chaque fois que le prix du baril de pétrole dépasse les 80 dollars, le marché russe est bon, » se réjouit Venant Krier, directeur général de Lindab-Astron à Diekirch. C’est le cas aujourd’hui. En début de cette année, la société cotée en bourse a inauguré une usine de 14 000 mètres carrés à Yaroslavl en Russie, un investissement de 20 millions d’euros qui était planifié pour tenir jusqu’en 2012. Quelques mois plus tard, l’usine a déjà atteint les limites de ses capacités de production, un agrandissement s’impose. Si le marché russe est parmi les plus prometteurs, Astron, active dans une quarantaine de pays, scrute déjà de nouvelles destinations, la Turquie serait intéressante, ou l’Inde...
Extrêmement dépendante de la conjoncture, l’entreprise ressent immédiatement aussi bien les effets de la récession que ceux de la reprise. Ainsi, les conséquences de la crise l’ont frappée directement, provoquant une baisse de cinquante pour cent dans les carnets de commande entre 2008 et 2009. L’usine hongroise a dû être fermée. « En tout, on a dû opérer une réduction des effectifs de quelque 300 personnes. Au Luxembourg, siège historique de la société depuis 1962, on a pu se limiter à 27 licenciements, un plan de maintien dans l’emploi avec préretraite et chômage partiel ont permis de passer le cap. Mais il est absolument essentiel que le Luxembourg regagne en compétitivité, afin de lui assurer un futur industriel, » dit Venant Krier, trente ans d’ancienneté dans la société. L’usine de Diekirch, qui, avec ses 28 000 mètres carrés est la plus grande du groupe, occupe actuellement encore 260 salariés, sur 800 pour tout le groupe.
Astron construit des halls industriels, préfabriqués mais sur mesure. En entrant dans Diekirch par Ingeldorf, route d’Ettelbruck, on peut quasiment suivre l’histoire de ces bâtiments en tôle ondulée : ceux de la première génération tiennent toujours, bien qu’ils aient pris un sacré coup de vieux, alors que les plus récents, pour un grossiste en équipements sportifs par exemple, ont beaucoup gagné en esthétique et en fonctionnalité. C’est d’ailleurs ainsi que la société aime à se présenter aujourd’hui : comme une entreprise high-tech, à l’opposé de l’usine ressentie comme archaïque, qui ne cesse d’optimiser ses processus de production et ses produits. « Nous ne livrons pas seulement des poutres, mais tout un concept, explique ainsi Étienne Lesuisse, directeur de la production en faisant visiter l’usine. Nous produisons du sur-mesure, on peut dire qu’on fait à l’échelle industrielle ce que l’artisan fait en petit. »
Au fil des ans, Astron a développé aussi bien son mode de production que sa distribution. Ainsi, dans chaque pays, sur chaque marché, elle travaille avec des distributeurs locaux, 400 constructeurs qui sont formés à la « Astron Academy » afin de connaître au mieux le produit et les solutions à chaque demande du client. « Et pour connaître les techniques de montage sur le bout des doigts, insiste Venant Krier, car un hall ne sera jamais aussi bien que l’est son montage. » Munis d’un logiciel développé pour Astron et qui permet de calculer facilement les surfaces et les investissements nécessaires pour répondre à la demande du client, ces constructeurs franchisés pourront lui fournir rapidement des informations concrètes sur les besoins en travaux de déblais ou remblais, en fondations, en isolation, l’utilisation de la lumière naturelle ou artificielle, les portées et volumes possibles... Ce sont ces sous-traitants qui gèrent toute la construction, dans laquelle le coût des pièces métalliques, murs, poutres, toitures, ne constituent en moyenne que quinze à trente pour cent du budget global.
La rapidité est un des maîtres mots des halls Astron : il faut seulement une semaine de montage par mille mètres carrés d’un grand bâtiment. « Il nous faut neuf heures de production pour une tonne de bâtiment ; en pointe, on peut sortir jusque 60 bâtiments moyens par semaine de nos usines, » résume Étienne Lesuisse. En quarante ans, les usines du groupe ont livré en tout 40 000 bâtiments, soit mille par an, pour une surface totale de plus de 40 millions de mètres carrés – les chiffres sont impressionnants. Étienne Lesuisse les appelle « halls Ikea » ou « mécanos géants », car tout est optimisé pour individualiser les pièces produites sur mesure, et en même temps réduire les coûts, que ce soit lors de la production – limitation des déchets, réutilisation ou recyclage des chutes, optimisation du parcours sur les lignes de production, automatisation maximale – que lors du stockage (réduction extrême de la durée de stockage, production sur mesure...), du transport (les produits ne dépassent pas la longueur d’un camion, toutes les pièces pour un hall de mille mètres carrés doivent entrer sur un seul camion...) ou, à l’arrivée, du montage (les pièces ne dépassent pas les 2,5 tonnes, ne nécessitant alors pas de grues spéciales...) À l’arrivée, les pièces sont fixées à l’aide de boulons exclusivement, sans besoin de soudure ou autres travaux complexes. « J’ai visité beaucoup d’usines, raconte Étienne Lesuisse, mais la nôtre est de loin la plus efficace ! »
À côté de la rapidité de la livraison et de la construction, le sur-mesure des pièces est probablement un des principaux atouts de ces constructions métalliques, ce qui les rend si attractives dans les économies émergeantes, pressées de répondre au plus vite à la demande du marché qui explose. Venant Krier définit trois périodes dans le cycle d’une économie pour Astron : en premier, il y a le boom économique, où tout est à construire, comme c’est toujours le cas en Russie, dont l’industrie était à terre et les usines désuètes. Et cette première phase est toujours dominée par le Foreign Direct Investment, l’investissement direct de grandes multinationales, qui délocalisent leurs productions afin de profiter d’un environnement économique ou fiscal attractif. Pour Astron, cela veut dire qu’elle peut construire de très grandes usines, des halls de production de plusieurs dizaines de milliers de mètres carrés, avec de grandes portées libres – comme pour Krono-Group en Pologne ou en Russie ou pour Komatsu en Russie (50 200 mètres carrés). La deuxième phase pour eux, c’est l’arrivée de la logistique (demandant de grands halls de stockage), des sous-traitants et des fournisseurs, qui construiront peut-être des halls de plus petites dimensions ou des commerces. Et la troisième phase est celle des industries dites matures, où les sites de production jadis implantés en plein centre des villes sont chassés par la pression sur le marché de l’immobilier – et se déplacent vers les bords d’agglomération. Ou alors les technologies ont évolué et les lieux de production doivent s’y adapter. Ces sociétés demanderont des halls performants et attractifs.
Et voilà une des fiertés des ingénieurs d’Astron-Lindab : d’avoir évolué aussi bien sur le plan de la technologie, développant par exemple depuis plusieurs années des bâtiments à plusieurs étages, notamment pour des commerces et des administrations, que sur le plan de l’esthétique. « Cela n’a plus rien à voir avec ce qui se faisait il y a quarante ans, on ne voit même plus qu’il s’agit d’un hall en acier préfabriqué, » affirme Venant Krier, citant des exemples luxembourgeois comme les Caves Gales ou les garages Losch. Actuellement, Astron construit un nouveau parking pour le grossiste de l’alimentation La Provença-le ou l’extension de l’hypermarché Belle Étoile. Et Astron s’enorgueillit de ses constructions plus extravagantes, comme le terrain d’entraînement couvert pour le club de football Dynamo Kiev, un hôtel cinq étoiles en Roumaine et un Hilton en Italie, ou encore des écoles, une université et même une église en Angleterre. D’ailleurs, chaque mois, la société élit en interne son « bâtiment du mois », récompensé pour son originalité, son exploit technologique ou son esthétique. Le plus grand défi d’Astron pourrait être de produire la même chose, des halls en acier, mais différemment selon les désirs du client.
Lors de notre visite d’usine, il fai-sait moins six degrés à l’extérieur et plus seize à l’intérieur. « Nous avons les mêmes standards de qualité et les mêmes méthodes de production dans nos trois usines, » précise encore Étienne Lesuisse, à côté du Luxembourg et de la Russie, Astron produit aussi en République tchèque, pour servir le marché d’Europe centrale. À Yaroslavl, le même jour, il faisait moins 24 degrés, le seul outil qui écrivait encore pour l’inventaire des pièces dans la cour, était le crayon, l’encre des stylos ne coulant plus.
« Ce défi international, pouvoir travailler un peu partout dans le monde est extrêmement satisfaisant, suggère Venant Krier, qui cite les dialogues de Gone with the wind au détour d’une conversation, tout comme il lit la presse internationale lors de ses longs et très nombreux vols et ne rechigne pas à partager les fêtes et coutumes locales dans un village reculé au Kazakhstan ou en Ukraine s’il le faut. L’homme d’affaires doit alors se faire caméléon pour décrocher un marché, sentir quand il faut souligner la qualité européenne du produit ou l’implantation locale de la société grâce à des chefs de filiales sur place.