Les syndicats traditionnels sont à cran dans le secteur bancaire, à une petite encablure des élections sociales qui interviendront à l’automne prochain. Il y avait un syndicat « sectoriel » avec l’Aleba - Fédération syndicale, qui avait raflé aux dernières élections sociales en novembre 2003, 51 pour cent des mandats des délégués du personnel (700 personnes environ) dans le secteur financier.
Il faut désormais compter avec un « syndicat » interne à un groupe financier. Jeudi est née officiellement la Fédération indépendante des employés Dexia Luxembourg (FieDEL), une « association syndicale avec la seule vocation de défendre les intérêts des salariés d’un groupe d’entreprises se trouvant sous un même logo ». Ses fondateurs étaient précédemment
affiliés au syndicat LCGB qui les en a récemment exclus (le 3 décembre lors d’un comité central extraordinaire). Une exclusion qui fait d’ailleurs l’objet de recours devant la commission de surveillance du LCGB. La question devrait être définitivement tranchée d’ici deux semaines. Personne ne doute toutefois que l’exclusion sera définitive, même si toutes des libertés ont été
prises avec les statuts du syndicat d’obédience chrétienne.
Un dangereux précédent qui fait le jeu du patronat bancaire, affaiblit le pouvoir des salariés et complique davantage encore le jeu social dans les banques, quelques jours (la signature est intervenue le 28 décembre avec l’Association des banques et banquiers - ABBL) après la signature de la convention collective qui a pu aboutir grâce au sacrifice de l’Aleba et de son consensuel président
Marc Glesener, estime en substance un délégué OGBL auprès d’une grande entreprise financière.
La division ne fait pas l’affaire non plus de l’Aleba. Interviewé cette semaine par Le Quotidien sur cette nouvelle concurrence de le FieDEL, Marc Glesener a voulu minimiser l’affaire en la réduisant quasiment à une querelle de personnes : « Ce qui se passe maintenant à la Dexia ne me fait pas plaisir, bien que cela touche un autre syndicat. Cela confirme toutefois que certaines personnes ne semblent pas pouvoir travailler en harmonie avec leur organisation : une partie des personnes qui se sont mises enmarge du LCGB SESF avaient déjà fait scission avec l’Aleba ». Et voilà pour les dents des pères-fondateurs de la FieDEL. Ces
derniers jouent pour leur part la carte de la rénovation syndicale, tentant ainsi de reléguer les centrales traditionnelles au statut de dinosaure : « Les syndicats actifs depuis des années, écrivent-ils dans un tract, dans notre secteur souffrent du fait que le monde bancaire est en plein changement et qu’il est devenu de plus en plus difficile à consolider les intérêts des salariés du secteur dans son entièreté ».
Leurs revendications, tout comme leur programme, restent floues, ce qui laisse subodorer que la création de cette organisation au sein du groupe Dexia s’est faite avec un haut degré d’improvisation. Les arguments, à la base de la FieDEL, manquent tout autant de vraisemblance.
Tous les poncifs entendus depuis des lustres y sont débités dans le tract de présentation. On a du mal à croire que ce genre d’arguments pourra constituer un programme crédible pour les élections sociales de novembre prochain (si toutefois le projet de loi sur le statut unique passe la rampe d’ici-là). La cause commune généralisée est, aux yeux de ses dirigeants, « condamnée à se fixer au plus petit dénominateur commun, ce qui arrange évidemment les patrons ». Les accords nationaux, lit-on encore, n’intéressent pas les patrons des multinationales et la tendance est à la standardisation des conditions sociales et salariales
avec, évidemment, un nivellement vers le bas. « Le phénomène de filialisation ajoute encore au problème (…) des intérêts multinationaux changent les paramètres de la cohésion sociale. Il faut donc regrouper les intérêts des salariés d’un même groupe d’entreprises ». Les syndicats traditionnels, vendus à la politique, ont perdu de vue leurs bases respectives. Les dirigeants de la
FieDEL en veulent pour preuve d’abord l’indigence des débats sur le statut unique des travailleurs – « statut qui ne sera pas unique du tout » − et ensuite la convention collective du secteur bancaire. Difficile de positionner exactement les transfuges
du LCGB chez Dexia sur l’échiquier social. Les deux grandes centrales, LCGB et OGBL, ont refusé de cautionner la convention collective signée par la seule Aleba. Mais quid de la position de la FieDEL qui évoque, sans prendre pour cela beaucoup de risques, des négociations « difficiles, voir impossibles ces dernières années », mais ne dit pas s’il approuve le geste de l’Aleba, pour laquelle la signature du 28 décembre avec l’ABBL était « un compromis nécessaire » ? Les patrons tirent à hue et à dia, résume la brochure, tandis que les syndicats se contredisent entre eux et « sabotent » par leurs querelles les salariés qu’ils sont
plutôt censés protéger.
Les dirigeants de la FieDEL plaident pour un autre syndicalisme, en rupture avec les « programmes classiques » et les modèles « archaïques » proposés par les grandes centrales qui n’intéressent plus les salariés et des « fonctionnaires syndicaux rémunérés
serviables à la politique ». Un syndicalisme plus ouvert sur la population active non résidante, qui « rend la parole aux employés
pour une vraie démocratie sociale dans l’entreprise », donne « un peu de liant, de tonus et de légitimité » aux relations sociales et respecte la hiérarchie et la « nécessaire performance des compagnies ».
L’entreprise se révèle tout de même un peu risquée alors que la campagne des élections sociales a déjà démarré et que l’Aleba, de l’aveu même d’un délégué syndical de l’OGBL, mène assez bien sa barque et rencontre un écho positif auprès des salariés
du secteur financier. Il faut dire qu’avec un niveau de cotisation inférieur de moitié, ou presque, à celui des adhésions au LCGB ou à l’OGBL (15,6 euros/mois), l’organisation de Marc Glesener était jusqu’à présent sans rivale. Le nouveau syndicat Dexia a d’ailleurs aligné le montant de ses cotisations sur celui de l’Aleba à huit euros par mois. Un argument qui pourrait séduire d’autant plus que l’adhésion au club prévoit en prime une affiliation (sur demande) à la Caisse médico-chirurgicale outre un obligatoire secours de grève journalière.
Au cas où les nouveaux syndicalistes seraient contraints de hausser le ton envers le patron pour faire valoir des acquis sociaux menacés. De son côté, le LCGB avait d’ailleurs dû adapter ses tarifs lors du schisme de la section de la banque Fortis qui claqua la porte à l’Aleba pour se réfugier dans le giron du LCGB-SESF. Les cotisations y tournent autour de dix euros.
La petite histoire derrière la création de la FieDEL serait d’ailleurs plus une question d’argent que de réelle volonté de rénover le syndicalisme luxembourgeois. Les dernières élections sociales de 2004 avaient valu au LCGB et à l’OGBL un poste et demi chacun au conseil d’administration de la Dexia BIL en vertu de la législation du 6 mai 1974 instituant les comités mixtes dans les entreprises du secteur privé et organisant la représentation des salariés dans les sociétés anonymes.
Unarrangement entre les deux centrales avait prévu une rotation des administrateurs issus de la représentation du personnel : durant la première partie du mandat, l’OGBL enverrait deux membres, le LCGB un seul et vice-versa lors de la seconde partie du mandat. Le syndicat chrétien a donc en principe deux des siens dans le conseil d’administration de la banque. Le règlement
interne prévoit que les tantièmes touchés par les administrateurs issus du monde salarial soient ristournés aux syndicats d’affiliation. Ce qui ne fut pas fait, les deux « administrateurs LCGB » ayant conservé pour eux leurs jetons de présence au lieu de les mettre dans le pot commun. D’où la mesure d’exclusion dont ils furent frappés en décembre dernier. Une histoire à 35 000 euros. Dans d’autres entreprises du secteur financier, les syndicats s’entredéchirent entre eux et avec leurs directions pour des
montants autrement plus copieux.
Chez Clearstream notamment, le non-respect, implicitement consenti d’ailleurs par les syndicats eux-mêmes, du quota légal d’un tiers d’administrateurs salariés dans le conseil d’administration (il n’y a qu’un seul membre de la délégation du personnel qui y siège alors qu’il en faudrait une dizaine) a causé une perte sèche de près de deux millions d’euros aux syndicats depuis les élections de novembre 2003.