Dans les largesses des autorités figurerait l’indexation des salairesprévue pour mars 2008, difficilement compatible avec les objectifsde stabilité des prix à moyen terme que les gouverneurs des banquescentrales de la zone euro font tout, actuellement, pour contrecarrer.Yves Mersch ne l’a pas fait écrire dans le rapport de la BCL, mais il l’a dit, et ses mots ont été ressentis comme du fiel par les dirigeants de la Commission de surveillance du secteur financier, pourtant habitués aux sorties de pistes du gouverneur de la banque centrale.La CSSF, a assuré Yves Mersch en évoquant la tendance baissière des résultats des banques au troisième trimestre (-28 pour cent de chute dans les résultats avant provision, -16 pour cent dans le produit net bancaire entre juin et septembre 2007), serait tentée par une approche « assez généreuse » pour éviter « les revirements trop pénibles dans les résultats des banques ». « Le Luxembourg, a prévenu le patron de la BCL qui reproche au discours officiel de minimiser l’effet de la crise des marchés financiers, n’a pas d’immunité vis-à-vis des turbulences desmarchés financiers ».
Yves Mersch a tout de même un peu tempéré son discours en évoquant les difficultés que rencontrent fatalement les réviseurs d’entreprises à faire une appréciation ou des dépréciations des comptes sur le marché sinistré des produits financiers adossé à dela dette. Comment évaluer en effet des produits lorsque le marché estinexistant pour les jauger ? Exercice difficile mais qui est loin d’être limité au seul Luxembourg. Le rapport 2007/02 de la Banque centrale reste d’ailleurs dans le flou sur l’impact des perturbations du marché et en défaut de documenter les thèses de son patron. Les mentions renseignant des difficultés que les banques de la Placeont rencontrées pour lever des fonds demeurent un peu maigres pour accréditer la thèse d’un retournement brutal de tendance déjà en 2007.
Parler dans ces circonstances de générosité de l’approche de l’autorité de contrôle des banques relève d’une certaine mauvaise foi. « Il n’est pas dans l’intérêt d’une autorité d’être souple », répond-on d’ailleurs du côté de la CSSF. Pourquoi voudrait-on que les résultats des banques soient meilleurs qu’ils ne le seront ? En jetant le doute sur la neutralité de la Commission de surveillance, Yves Mersch prêche pour les ambitions de sa propre maison. Le gouverneurde la Banque centrale ne fait pas mystère de ses intentions de faireune OPA, amicale ou non, sur les prérogatives de la CSSF. Un scénario que la communauté financière redoute par-dessus tout.
Les dirigeants de la Commission de surveillance philosophent rarement sur l’organisation de la régulation financière, qui est aussi globalisée que le sont les marchés financiers. La place pour la fantaisie, voire la générosité dans l’appréciation des risques, se révèle des plus étroites, d’autant que les normes comptables ont été harmonisées dans l’Union européenne et aussi sur le planmondial.« Nous avons, précise dans un entretien téléphonique au d’Land,Jean-Nicolas Schaus, le directeur général de la CSSF, comme pour couper court au début de polémique déclenchée par Yves Mersch, une approche légale sur les bilans et nous nous pouvons pas décider à la tête du client ». Manière d’affirmer qu’il n’y aura pas d’ajouts d’édulcorants ni de facéties dans la manière dont les réviseurs d’entreprises, piliers de la surveillance prudentielle au Luxembourg, dresseront les bilans des pertes et profits en 2007. En clair, les auditeurs ne mettront pas complaisamment leurs lunettes roses.Ceci dit, pas question non plus de rester hermétique aux évènements.Ça cogite ainsi beaucoup entre les réviseurs d’entreprises et les dirigeants de banques (européennes) pour interpréter les normes comptables IFRS, ce qu’il est possible de faireoude ne pas faire. « Déterminer la fair value sera un excercice bien plus subjectif qu’il ne l’était déjà lorsque les marchés étaient plus stables et plus liquides », relevait cette semaine Standard [&] Poors à Londres.
C’est sans doute ce à quoi Yves Mersch faisait référence vendredidernier. Les lois comptables ne sont pas inamovibles et donnent matière à interprétation. S[&]P indique que la complexité des normes IFRS peut amener différents traitements d’un même produit au sein des banques et peut même conduire à des divergences d’appréciations au sein d’un même groupe. « Nous maintenons une oreille ouverte lorsque les banques proposent des choses », indique pour sa part Jean-Nicolas Schaus, fidèle à l’approche « non négative » de la CSSF.Cette tendancen’est pas l’apanage des autorités luxembourgeoises.
L’ampleur de la crise des subprimes et ses effets hautement contagieux ont obligé les régulateurs à jouer la carte de la concertation internationale et d’engager des réflexions sur des questions aussi variées que la transparence des marchés du crédit, le rôle et les méthodes des agences de notation, la valorisation de produits complexes et illiquides. « Les événements sur les marchésdepuis le début de l’année et en particulier au cours de l’été, auront démontré, si besoin était, l’ampleur des bouleversements que traversel’industrie financière dans la plupart de ses segments d’activité (…)Ils mettent à l’épreuve l’organisation de la régulation, en permettantde jauger l’efficacité et la robustesse des règles en place et notre capacité collective à gérer les évolutions », assurait récemment le secrétaire général adjoint de l’Autorité des marchés financiers en France. « Nous vivons sans doute là le premier test grandeur réelle du phénomène de désintermédiation et de nouveaux modes de gestion du risque », précisait le responsable dans La lettre de larégulation financière. Jean-Nicolas Schaus n’a pourtant pas sauté de joie lorsqu’il a présenté à son personnel le même jour où Yves Mersch intervenait, les premières tendances pour 2007, année décritecomme celle de la stabilisation.
Le directeur général de la CSSF n’a pas pour autant versé dans l’accablement : la structure de la place financière l’a mis à l’abris des plus grosses turbulences ; les banques luxembourgeoises sont peu engagées dans l’activité de l’investment banking, a rappelé Jean-Nicolas Schaus. Il faut s’attendre bien sûr à de la casse :« Quelques banques, souligne le communiqué de la CSSF, serontnéanmoins amenées à procéder à des corrections de valeur substantielles sur leurs portefeuilles titres ».
Du coup, le gendarme de la place financière ne s’est pas osé à avancer des chiffres, ne seraient-ce que provisoires, comme il le fit en 2006. « Une prévision des résultats à la fin de l’année s’avère particulièrement difficile », avance le communiqué de la CSSF, qui garde espoir. La gestion de fortune et les services aux organismesde placement collectif, les deux piliers du centre financier, devraientmaintenir le cap, relativement insensibles à la crise des marchés hypothécaires US. Et puis le premier semestre 2007 fut exceptionnellement bon.
Interpellé par l’impact de la crise des subprimes, Luc Frieden a pris lui aussi des gants : « Il est permis d’affirmer que l’impact de la crise du marché du subprime sur la place financière luxembourgeoise reste limité tout en ayant augmenté les incertitudes », a affirmé cette semaine le ministre CSV du Trésor et du Budget. Côté politique, la réponse reste toujours la même : attendons de connaître les résultats des établissements financiers de l’année financière2007 avant de faire une « évaluation sérieuse ». Les chiffres, la CSSF en dispose partiellement, permettent de dire que l’incendie est resté cantonné à une poignée d’établissements. Quatre, cinq banques de la place seraient affectées par la crise du marché des subprimes, selon Jean-Nicolas Schaus.
Parmi lesquelles on ne compterait pas seulement des banques allemandes. Des établissements plus « classiques » à réseau seraient également touchés. Le dirigeant de la CSSF ne désigne cependant personne, fidèle à la culture de la discrétion qui fait samarque de fabrique, jusqu’à la fin de l’année 2008 en tout cas, date àlaquelle Monsieur Schaus est supposé tirer sa révérence.