Pour lancer sa saison théâtrale, tout de suite après sa fête d’anniversaire, le choix de la pièce en un acte de Tchékhov Le Chant du Cygne est significatif pour le Théâtre du Centaure. Elle parle de théâtre et de ceux qui le font, sur le plateau et en coulisses, de ses joies et de ses peines. Par son sujet, cette pièce s’intègre bien dans la saison du cinquantenaire du Centaure, où la captation de plusieurs productions théâtrales passées donnera un aperçu historique de la maison.
Parmi les nouvelles d’Anton Tchékhov, des œuvres de jeunesse, dont l’auteur a lui-même fait l’adaptation théâtrale, plusieurs parlent du théâtre et évoquent d’autres thèmes qui lui sont chers. Monter une de ces pièces courtes pose certes le problème de savoir comment l’étoffer ou l’encadrer pour en faire un tout. Souvent on la montre avec d’autres petites pièces de l’auteur.
Lol Margue opte de mettre en scène les mêmes deux personnages de la pièce. Un acteur, Marja-Leena Junker, qui connaît bien le métier depuis de longues années en tant que comédienne, metteure en scène et directrice du Centaure et son souffleur, le comédien Mathieu Moro, l’accompagnateur dévoué du comédien, et de leur donner encore d’autres rôles en rapport avec Tchékhov. Mathieu Moro prend celui d’initiateur du Chant du Cygne ainsi que celui de metteur en scène auditionnant la comédienne et les deux lisent des extraits de la correspondance de Tchékhov et de sa femme, la comédienne Olga Knipper.
Pour jouer la pièce, Marja-Leena Junker, à travers un jeu très nuancé, montre son vif plaisir d’être sur scène. Au début en longue robe fleurie, elle doit se changer en vieux comédien. Enfiler rapidement des habits d’homme et se faire une tête d’homme demande de l’ingéniosité : s’ensuit une délicieuse scène que de transformer l’élégante femme en vieux comédien méconnaissable. Une excellente idée du metteur en scène que cette transformation sur scène.
La pièce elle-même parle des comédiens, en particulier des comédiens vieillissants, des auteurs dramatiques aussi. Elle démarre avec l’effroi que peut susciter à première vue et de nuit un théâtre vide. Dans Le Chant du Cygne le comédien Vassili Svetlovidov, après avoir joué Calchas dans l’opéra La belle Hélène d’Offenbach et à la suite d’une fête bien arrosée, se réveille la nuit, seul dans sa loge, abandonné de tous. Il est « prisonnier » du théâtre dont les portes sont verrouillées de l’extérieur. Pour lui voir un théâtre vide de nuit est une découverte effrayante. En cherchant de l’aide, il tombe sur Ivanytch, le souffleur – Mathieu Moro excellent dans ses divers rôles – qui, sans logement à lui, a l’habitude de passer ses nuits au théâtre. La rencontre du comédien et de son souffleur réveille peu à peu la passion du jeu et fait revivre les temps heureux l’espace d’un moment.
Et le public dans cette constellation ? Petit saut dans le temps, celui du Centaure est là, il joue son rôle, suivre les comédiens sur scène, qui évoquent les heures glorieuses de la carrière de Svetlovidov, qui redevient le comédien fêté et joue encore une fois ses grands succès tirés de Boris Godounov, du Roi Lear, de Hamlet, une sorte de chant du cygne, des moments forts, mis en évidence par les effets de lumière suggestifs signés Antoine Colla, qui crée pour les scènes plus intimes de beaux clairs-obscurs.
Certes Svetlovidov se voit aussi dans le présent en comédien d’un certain âge et se rappelle les moments de faiblesse dans sa carrière et sa vie privée, ses illusions perdues, sa solitude qu’il évoque avec une certaine tristesse. « Ma chanson est finie. » Mais il dit aussi que « Là où il y a de l’art, où il y a du talent il n’y a pas de vieillesse, pas de solitude, pas de maladie, et, même la mort, ce n’est qu’une moitié de mort. » Son souffleur assiste d’abord puis devient le complice de son maître, lui qui par son métier, connaît les grands textes et cette fois il participe sur scène à côté de ce comédien qu’il admire.
Le Chant du Cygne est un moment de théâtre intéressant et touchant, bien conçu par le metteur en scène et porté par un excellent duo de comédiens.