La crise financière de 2008 à peine passée, une nouvelle crise vient frapper aux portes de l’Europe et du monde et remettre en question une série de modèles économiques et sociaux. Qu’en est-il du business model du private equity (PE) dans ce contexte ? La nouvelle ère réglementaire, qui s’est ouverte en Europe avec l’entrée en vigueur de la directive AIFM (Alternative Investment Fund Managers) en juillet dernier, est-elle de nature à limiter le développement du PE en Europe ou peut-elle présenter pour certains, comme le Luxembourg, une voie de diversification vers une industrie qui reste prometteuse ?
Après deux années difficiles, l’activité en private equity a rebondi en 2010 ; la tendance s’est poursuivie au premier trimestre 2011 avant de s’infléchir, dans la mouvance de l’extrême tension prévalant sur les marchés financiers.
Ceci concerne aussi bien les transactions – dont le niveau a atteint 157 milliards de dollars sur les trois premiers trimestres de 2011 – que les cessions de sociétés en portefeuille. Le retour des transactions de taille significative ainsi qu’une activité dynamique au niveau des opérations secondaires sont à l’origine de ces bons indicateurs. Les introductions en bourse ont constitué pour leur part l’une des sources principales de la tendance observée au niveau des cessions.
Côté financement, le tableau est contrasté : en 2010, les banques ont émis un volume de nouveaux prêts en augmentation de 38 pour cent par rapport à 2009 et le montant total des prêts accordés au private equity devrait atteindre en 2011 son plus haut niveau depuis 2007. Toutefois, les levées de fonds demeurent difficiles (348 fonds levés au 30 septembre 2011 à comparer à 970 en 20081) même si 1 300 fonds sont actuellement en phase de lancement.
C’est dire que si la volatilité actuelle des marchés préoccupe fortement le private equity, certains n’hésitent pas à regarder l’avenir avec confiance.
Deux récents rapports2 mettent en lumière la façon dont l’industrie a su s’adapter aux conditions de marché et analysent ses facteurs clés de succès. Ils soulignent la résilience intrinsèque du modèle, fondée sur une approche dynamique de la création de valeur dans les sociétés en portefeuille.
La croissance des revenus organiques (par opposition à des facteurs liés au choix des marchés cible, par exemple) représente à elle seule 46 pour cent de la croissance des bénéfices de l’échantillon en Europe3 sur les six années d’étude. Elle résulte de la mise en œuvre de transformations profondes et durables dans la façon dont les sociétés détenues opèrent.
Les analyses soulignent aussi l’importance de disposer de la bonne équipe dès le début d’une opération, au risque d’allonger significativement la période de détention.
Interrogées sur les facteurs clés de succès pour l’avenir, les maisons de private equity mettent en avant leur capacité à créer de la valeur au niveau des sociétés détenues ; elles mentionnent également la mise en œuvre d’une stratégie d’investissement clairement définie ainsi que la création d une fonction de back-office professionnalisée. Est-ce à dire que Luxembourg doive s’en tenir à sa réputation de centre d’expertise en matière de back-office pour le private equity ?
Capitaliser sur sa réputation et son positionnement comme centre d’excellence pour l’industrie de la gestion d’actifs alternatifs sur les aspects middle et back-office nous semble bien constituer un axe évident de toute stratégie de développement de cette industrie au grand-duché. Nous pensons néanmoins que l’ambition de Luxembourg doit être plus vaste.
Il nous semble en effet que l’expérience récente des lois SICAR et SIF appelle aujourd’hui de nouveaux développements. Lorsque la SICAR voit le jour en 2004 et fait l’objet d’améliorations en 2008, l’objectif est clair : attirer à Luxembourg des promoteurs de taille moyenne, prélude à l’attraction de plus grands fonds. Le vote de la loi SIF en juin 2007 relève du même projet. Si l’objectif initial de mettre à la disposition des investisseurs des véhicules légèrement régulés, flexibles et innovants est rempli, force est de constater que l’objectif plus large d’attraction de fonds de taille significative sur le territoire du grand-duché n’a pas été atteint.
L’approche traditionnelle visant à mettre à la disposition des investisseurs une boîte à outils pragmatique s’est donc avérée ne répondre que partiellement aux besoins des utilisateurs. La gamme de produits disponibles se doit d’être complétée. Le projet relatif à l’amélioration du régime de la limited partnership entre dans ce cadre. Il s’agit ici d’améliorer le régime existant de la société en commandite simple (SCS) dotée de la personnalité juridique mais aussi de créer un nouveau régime sans personnalité juridique et dénué de teinte commerciale (Prägung), bien connu des acteurs anglo-saxons et offrant une flexibilité de structuration optimale. C’est, nous en sommes convaincus, un volet essentiel pour attirer les fonds à Luxembourg.
Toutefois, élargir la gamme de produits pour l’adapter plus encore aux besoins de l’industrie ne saurait suffire. Une promotion efficace et volontariste de la place financière est également requise. Cette dernière pourrait prendre la forme d’un « marketing en tête-à-tête » délivré par une équipe de professionnels hautement qualifiés proposant des solutions sur-mesure et intervenant en complément des initiatives que nous connaissons tous. À cet égard, nous devons nous féliciter de la voie dans laquelle l’Alfi et la LPEA se sont engagées : impliquer directement les maisons de private equity installées au Luxembourg dans la promotion de la place financière auprès de leur maison-mère en leur fournissant le soutien logistique requis nous semble une voie d’avenir.
Ces propositions s’inscrivent dans un contexte réglementaire nouveau. La directive Alternative investment fund managers (AIFM) en est un bon exemple. Elle pourrait permettre à Luxembourg de capitaliser sur l’expérience acquise en matière de modèle régulé et de distribution transfrontalière au travers des OPCVM si elle va de pair, comme nous le pensons, avec l’émergence d’un nombre croissant de fonds alternatifs régulés en Europe sous la pression d’investisseurs soucieux d’obtenir une transparence accrue. Une transposition flexible du texte en droit luxembourgeois pourrait donc agir comme le catalyseur d’évolutions par ailleurs indispensables. Pour ce faire, il nous paraît crucial d’adopter une approche pragmatique en évitant de créer des niveaux de réglementation supplémentaires, non requis par la directive.
Nous pensons toutefois que les solutions concrètes, innovantes et flexibles doivent également s’adresser aux gestionnaires des fonds eux-mêmes (front-office). Dans un contexte international marqué par l’alourdissement des contraintes fiscales, voire par la stigmatisation des très hauts revenus (ultra high net worth individuals), Luxembourg pourrait marquer sa différence et se positionner comme terre d’accueil privilégiée des ces créateurs d’emplois passant le plus clair de leur temps dans l’avion, à la recherche de transactions à financer. Y parvenir impliquera d’offrir l’infrastructure adéquate, en matière de transport et d’éducation notamment, mais aussi et peut être surtout en matière fiscale. À cet égard, un régime d’imposition attractif du carried interest constituerait un bon début. Mais ce ne serait qu’un début. Le Luxembourg n’échappera pas à la question cruciale de l’arbitrage à faire entre ce que l’on entend communément par équité fiscale et rentabilité fiscale. Attirer des nouveaux contribuables résidents à très hauts revenus nécessitera une approche plus différenciée en matière de taux d’imposition, le tout dans l’intérêt collectif d’augmentation des recettes fiscales au niveau national.
Dans un marché du private equity en proie aux conséquences de la crise financière mais encore porteur d’avenir et aujourd’hui appelé à s’adapter à une nouvelle donne règlementaire, le centre financier Luxembourgeois a choisi d’agir. Au terme d’une phase d’identification des opportunités et d’analyse stratégique, l’heure est donc à la mise en œuvre d’actions innovantes visant à les concrétiser. Se donner les moyens de conquérir de nouveaux acteurs de la chaine de valeur du private equity, tel est bien l’enjeu qui se présente aujourd’hui.