Le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) des Nations Unies s’est penché sur la manière dont les juges luxembourgeois prennent leurs décisions en matière de demandes d’asile et de protection des demandeurs d’asile. Ses services ont épluché les motivations juridiques de quelque 130 jugements et en ont tiré plusieurs conclusions intéressantes – au niveau procédural et sur les questions d’interprétation. Cependant, le HCR ne s’est pas intéressé au contenu des différents dossiers et admet d’emblée qu’il ne s’est contenté que d’une vue partielle des affaires tranchées par les juridictions administratives. Ce rapport n’est d’ailleurs pas public, car il n’est pas encore définitif, mais le Land a pu obtenir des précisions sur les grandes lignes.
D’abord, le volet concernant les procédures. Il touche surtout le fait que les juridictaions se limitent aux seuls arguments et moyens qui lui sont soumis par les avocats. Il ne va pas rechercher des informations supplémentaires ou complémentaires à celles fournies par le demandeur lui-même et son représentant légal. Donc, si l’intéressé a la malchance de tomber sur un avocat qui a oublié de transmettre des données importantes, le tribunal se contentera de ces quelques miettes-là pour se faire un avis. « Pourquoi ne pas donner au juge la possibilité d’en savoir plus, en lui adjoignant un attaché qui s’occuperait de recherches, comme c’est le cas dans d’autres pays par exemple ? » demande le HCR.
Un autre point procédural concerne la question de la charge de la preuve qui, dans beaucoup de juridictions administratives d’ailleurs, pèse uniquement sur les épaules de l’intéressé. Comme celui-ci ne dispose souvent pas d’assez d’éléments et reste en défaut de prouver sa situation, le HCR estime que la charge de la preuve devra être partagée entre le réfugié et l’État.
Ensuite, les juges font souvent une interprétation plutôt restrictive de la définition du terme réfugié, telle qu’elle a été établie dans la Convention de Genève, relative au statut des réfugiés de 1951. Il s’agit notamment de la notion de groupe social. Dans bon nombre de décisions du tribunal, les questions du genre par exemple, les violences intrafamiliales et/ou contre les femmes en particulier (mutilations génitales, mariages forcés etc), ne sont pas automatiquement considérées comme rentrant dans le champ de la Convention. Le HCR est d’un tout autre avis. Les craintes des personnes appartenant à un groupe social particulièrement visé sont selon lui parfaitement légitimes et fondées.
C’est le cas aussi pour les acteurs de protection. Dans certains cas, le tribunal a estimé que la présence d’organisations internationales sur le territoire du pays d’origine suffisait pour garantir la protection d’un demandeur d’asile débouté, de retour dans son pays. Le HCR estime que ce n’est pas toujours le cas – l’Unmik, les forces de sécurité des Nations Unies au Kosovo par exemple, ne peuvent suffire pour prouver que le retour d’un réfugié sera sans danger – aussi longtemps que les autorités nationales ne peuvent garantir elles-mêmes la protection de leurs résidents.
Ensuite, il ne suffit pas que les persécuteurs du réfugié soient des « acteurs étatiques », car il peut tout aussi bien être une victime de groupes mafieux, de milices, de mouvements rebelles etc.Un autre point épinglé par le HCR concerne la discussion autour de la possibilité d’un réfugié de fuir vers une autre zone de son pays, jugée plus sûre. Or, il est pour le moins délicat de renvoyer des gens dans leur pays avec cet argument-là, à moins d’avoir vérifié la faisabilité d’une migration interne. Le minimum serait de se renseigner sur les possibilités réelles du demandeur de se mettre à l’abri dans une autre région, plutôt que de choisir de quitter son pays.Le HCR estime que dans certains cas, les décisions des juges n’ont pas été correctement motivées. « La jurisprudence peut s’améliorer, » précisa le Haut commissaire Antonio Guterres lors de son passage au Luxembourg lundi dernier, saluant en même temps que les taux de reconnaissance du statut de réfugié ont augmenté ces dernières années. Car l’étude reconnaît aussi que la justice luxembourgeoise n’a pas la même manie que d’autres tribunaux d’analyser la crédibilité de l’intéressé par des questions dont la réponse n’est pas évidente. Comme par exemple lorsque les juges veulent savoir les noms de responsables politiques de sa région pour vérifier si ses déclarations sont vraiment crédibles.
Selon le HCR, les failles procédurales seront sans doute les plus difficiles à améliorer, car elles demandent des décisions politiques ou financières – notamment en accordant du personnel supplémentaire au tribunal, pour qu’il puisse récolter des informations et faire des vérifications.
Bien avant sa publication, ce rapport a échauffé les esprits, ouvrant la porte aux soupçons de partialité du HCR qui retiendrait les informations dérangeantes pour protéger le gouvernement luxembourgeois, qui est d’ailleurs le 19e contributeur financier du Haut commissariat avec une dotation annuelle de 7,5 millions d’euros par an. Les représentants du HCR réfutent ces reproches en insistant sur le fait que ce n’est certainement pas dans l’intérêt des réfugiés de lancer une telle polémique publique. Qu’ils ont choisi de présenter d’abord leurs observations aux concernés – gouvernement et justice – pour faire bouger les choses plutôt que de crier au scandale, tout en précisant que leur rôle est différent de celui d’une ONG.