Avait-il une migraine ou simplement un coup de blues ? Ce jour-là, Thomas (Pascal Greggory), quinquagénaire mélancolique, semble porter tout le malheur du monde. Sur le stand de son éditeur, lors d’un salon du livre, le dessinateur de bandes dessinées ne peut plus cacher qu’il est en panne d’inspiration depuis deux ans, qu’il ne veut plus continuer les aventures de l’héroïne qui l’a rendu célèbre, mais qu’il manque d’idées pour commencer une nouvelle histoire. En rentrant, il s’endort dans le train et remarque trop tard qu’il s’est trompé de destination – pour finalement arriver dans le village de son enfance qu’il n’avait plus visité depuis la mort de sa mère, vingt ans plus tôt. Profitant de cet hasard pour visiter sa tombe, un étourdissement – où était-ce l’effet de ce papillon qui danse autour de sa tête ? – fait qu’il s’évanouit. En se réveillant, il a quatorze ans, en 1967, et revit ce moment-charnière de son histoire où son père va les quitter.
Quartier lointain de Sam Garbarski (coproduit par Samsa Film et tourné en très grande partie au Luxembourg) raconte l’histoire de cette « étrange aventure » de Thomas, cette descente dans son enfance, dans cette période faite d’insouciance et de bonheur, mais avec sa conscience d’adulte. Pour ce long-métrage, le troisième qu’il coproduit avec Samsa après Le Tango des Rashevski (2003) et Irina Palm (2007), Sam Garbarski et son co-scénariste Philippe Blasband ont adapté le manga éponyme à succès de Jirô Taniguchi (Harukana Machi-e, 1998). Comme dans un dessin animé, les personnages en sont taiseux, l’action réduite et tout semble porté sur l’ambiance et l’esthétique. Avec comme résultat que le film est lent, long et ennuyeux.
Car Thomas n’est pas le premier personnage de fiction à retourner dans son enfance, l’histoire récente du cinéma en est plein. Avec sa conscience d’aujourd’hui, il veut influencer le cours des choses, son destin, essayer de comprendre pourquoi son père, ce jour-là, est parti sans dire un mot, sans aucune explication, puis même pour l’en empêcher. En attendant, il redécouvre sa famille autrement, se désole de la tristesse sans fond de sa si belle maman (Alexandra Maria Lara), se réjouit de l’enthousiasme de sa petite sœur, observe son taiseux de père (Jonathan Zaccaï) afin de percer ses sentiments profonds et vit même une amourette avec Sylvie Dumontel (Laura Martin), cette fille rêvée qui lui avait parue intouchable jadis (et qui avait inspiré son héroïne).
Sam Gabarski et Jirô Taniguchi partagent la quête du merveilleux, non, de l’émerveillement. Ici, ce sont ces petits instants qui transfigurent les choses, ce papillon au cimetière, cette lumière sur les tissus de l’atelier du père, les rues de ce petit village bordées de maisonnettes colorées dans lesquelles il y avait de la vie, la découverte des bars nocturnes, des cigarettes, de la sexualité. Sam Garbarski décrit aussi cette période des années soixante où tout le monde rêvait de marcher sur la lune et où les mariés malheureux avaient pour la première fois le courage de poursuivre leurs propres rêves au lieu de toujours « faire comme il faut ». Baignant dans la musique de Air, le film fait parfois l’effet d’un chamallow ou d’une grosse barbe-à-papa : sucré, doucereux, dégoulinant de bons sentiments, presque réactionnaire – à la fin, c’est la famille qui gagne, alors qu’on sentait Thomas las, prêt à tout claquer au début du film, ça pourrait être son visa pour Hollywood.
Restent deux très grandes réussites du film : Léo Legrand incarne un Thomas adolescent impressionnant par son exercice d’équilibriste entre jeune naïf et vieux désillusionné, dont le regard semble percer tous les mystères. Et Véronique Sacrez a à nouveau assuré une direction artistique remarquable, où la France profonde des années 1960 est reconstituée avec beaucoup de minutie et d’amour pour le détail.