Un texte écrit en exil, en 1886 à Guernesey. Victor Hugo ne voulait pas l’éditeur de son vivant. « Mon drame paraîtra quand la vérité reviendra », disait-il. Et tout tourne autour de ça, dans ce beau texte, le plus beau qu’il ait pu écrire, sans doute. Mille francs de récompense amorce une volonté de rompre avec les mensonges, se dresser avec courage devant les injustices sociales, politiques, les mauvais assemblages personnels, les coups du destin. Un texte drôle, grave et tranchant qui en met plein la tête à tous ceux et celles qui ne font rien, qui s’endorment, bien couchés sur les petites convictions.
Pour cette mise en scène et adaptation de Marja-Leena Junker, on y va avec confiance, on sait que ce sera du théâtre d’une forme assez classique, proche des gens, un peu entertaining, mais en même temps, l’annonce de dix comédiens sur scène, au Centaure, effraye un peu. On les imagine manquer d’espace dans ce Paris de la fin du XIXe siècle où se croisent députés, fausses veuves, militaires reconvertis en musiciens et gueux au grand cœur.
Dès le début, la couleur est annoncée, ce sera vivant, généreux et rythmé. Deux comédiens, hors personnages (Brice Montagne et Fabio Godinho) expliquent le décor qu’il y a, mais surtout celui qui manque. Un petit gag par-ci, un petit gag par-là et on emballe son public. Ça fonctionne, tant mieux, mais la redondance de ce petit « truc » entre chacun des quatre actes que comporte la pièce, a tendance à lasser un peu. Dans un décor ingénieux, scenographié par la main de Trixi Weis, des personnages hauts en couleur, parfaitement transformés par leurs costumes (Daniel Trento) évoluent dans un récit captivant.
Un homme en cavale et au grand cœur, Glapieu (Jules Werner, puissant) s’introduit chez Cyprienne (Christine Muller), la petite-fille d’un vieux musicien ruiné et malade, Zachimo (Pierre Bodry). Une saisie est entreprise par le biais d’un notaire qui se croit espiègle (Fabio Godinho), on dépouille l’appartement de la famille, dont la mère de Cyprienne, la veuve André, femme abandonnée (interprétée par la très belle Sophie Langevin) perd pied et glisse peu à peu dans le désespoir le plus complet.
Un agent d’affaires, le rusé Rousseline (Serge Wolf), propose d’éponger les dettes, à condition d’épouser la jeune et douce Cyprienne. Mais celle-ci s’est promise au jeune Edgar Marc (Brice Montagne). Rousseline n’admet pas le refus et décidera ainsi de d’anéantir la famille. Il y a aussi un baron richissime (Franck Sasonoff pour qui le rôle est taillé sur mesure, ou est-ce l’inverse ?) qui désespère de retrouver son amour perdu, naïf et bon. Et puis apparaissent au rythme de danses mystérieuses et de bals costumés, un député (Jean-François Wolff) et un huissier de justice (Joël Delsaut) – deux esprits libres se permettant toutes les configurations sociétales et remettant en cause leurs propres statuts.
Tout se lie, se délie, l’argent volé réapparaît, plusieurs fois et les masques tombent. Le courage et la dignité humaine ne se trouvent pas exactement là où on aurait cru les trouver. L’histoire se termine bien, mais le drame subsiste et, il semble (l’Histoire nous le confirme), se reproduira à l’infini et en seront tirées les mêmes conséquences. La lutte acharnée, entreprise par certains courageux pour une utopie qui se muera vers une réalité, plus tard, peut-être.
Oscar Wilde disait à peu près à la même époque, qu’« aucune carte du monde n’est digne d’un regard si le pays de l’utopie n’y figure pas ». Il semble bien que Mille francs de récompense dans la version de Marja-Leena Junker et de tous ces très justes comédiens nous aient offert un aperçu de cet univers utopique, de ce pays, inscrit déjà dans une réalité à venir. Une proposition nette d’un monument de texte qui nous en apprend en long et en large de ce que sont les enjeux et qui ne dissout pas notre temps.