Des femmes d’âge mûr posent avec leurs copines, une coupe de crémant à la main, regardent des bijoux fantaisie, des parfums anonymes ou des dessous affriolants exposés sur des étals improvisés. Un peu plus bas, des hommes tous âges confondus, regardent à travers le viseur d’une arme impressionnante servant en fait juste à jouer au paint-ball, mangent des pizzas debout avec une bière dans l’autre main, fixant l’objectif ou prenant la pose pour le photographe. Bienvenu au cinéma version 2013, Ladies’ Night pour les femmes et Buddies’ Night pour les hommes tel que pratiqué désormais dans tous les cinémas commerciaux du pays et documenté en l’occurrence ici sur la page Facebook du Cinébelval.
« Malgré l’arrivée du multiplexe à Belval (en 2008, ndlr.), la fréquentation des salles de cinéma n’a pas forcément augmenté au Luxembourg, » constate Nico Simon, l’administrateur-délégué d’Utopia s.a., qui s’explique ce phénomène entre autres par la concurrence croissante de l’offre culturelle pléthorique depuis le milieu des années 2000. Donc le cinéma doit suivre cette évolution – et contrecarrer la généralisation du piratage de films sur Internet – et développer de nouveaux concepts, plus interactifs, des événements thématiques, des salles tout confort comme le prône le nouveau Waasserhaus, le cinéma du domaine thermal de Mondorf avec sa cinquantaine de sièges en cuir, ou être très rapide à sortir les films.
Ce dernier point profite surtout aux petites salles régionales, entièrement équipées en matériel de projection numérique ces deux dernières années, grâce notamment à un financement public de l’ordre de 25 000 euros par salle. Le grand-duché fut le deuxième pays d’Europe, derrière la Norvège, à passer au tout numérique. En un an, de petites salles comme le Scala à Diekirch ou le Ciné Sura à Echternach ont pu considérablement augmenter, voire parfois même doubler leurs nombres de spectateurs. Au Cinémaacher, qui se situe au sein du Kulturhuef de Grevenmacher, par exemple, les entrées ont doublé, atteignant les 6 000 spectateurs en 2012. Pour Fränk Grotz du Cinémaacher, cela s’explique par les avantages de la proximité, comme un parking, des tarifs un peu plus avantageux pour les familles, mais surtout par le fait que, désormais, toutes les nouveautés soient immédiatement disponibles dans tout le pays, alors qu’à l’âge de la pellicule, il fallait attendre la fin de la carrière d’un film dans la capitale avant que les bobines ne puissent entamer leur chemin à travers les cinémas régionaux. Aujourd’hui, il suffit de télécharger un fichier sur un serveur pour pouvoir projeter le film en même temps à Luxembourg, Belval, Esch, Rumelange ou Troisvierges. Il peut ainsi tout à fait arriver qu’en une semaine à dix séances, le Cinémaacher offre dix films différents.
Le Cinémaacher fait partie, comme six autres cinémas régionaux, du réseau CDAC (Centre de diffusion et d’animation cinématographique), une asbl fondée en 1983 et actuellement présidée par Robert Bohnert (qui préside également le Scala à Diekirch). Son rôle : organiser la programmation des salles régionales, mission qu’elle a outsourcée au groupe Utopia, disposant, lui, de la force de négociation nécessaire pour obtenir suffisamment de copies auprès des distributeurs de films, et en obtenir à des conditions correctes – qui s’intéresserait sinon à quelques petites salles éparpillées sur un territoire de la taille d’un mouchoir, qui disposent seulement de quelques dizaines, voire, à tout casser, une centaine de sièges par écran et animées par des bénévoles passionnés ?
En tout et pour tout, 2012 a été « une bonne année en termes d’exploitation cinématographique » vient de faire savoir le Flec (Fédération luxembourgeoise des exploitants de cinémas) dans un récent communiqué, avec 1,253 million de spectateurs – dont presque 80 000 grâce au dernier James Bond, Skyfall, alors toujours en exploitation, mais aussi les 20 150 spectateurs qui ont payé pour voir le film policier luxembourgeois Doudege Wénkel de Christophe Wagner. Or, en 2011, ils étaient 27 000 de plus à aller au cinéma, selon Mediasalles, et au tournant des années 2000, donc avant Belval, dépassaient régulièrement les 1,4 million. S’il y en a un à ne pas être satisfait des résultats de l’année écoulée, c’est Jean Villemin, le nouveau directeur du « nouveau » cinéma à Belval depuis juillet 2012 : 215 000 spectateurs cette année-là, il y a de la marge pour « une augmentation substantielle de notre public » estime-t-il. Car en 2010, le cinéma à Belval a attiré 250 000 consommateurs, alors qu’à son lancement, le directeur de l’époque, Raymond Massard, s’était même vanté qu’il pourrait viser la barre du demi-million de spectateurs par an avec ce qu’il décrivait comme « le multiplexe de l’avenir ».
Pourtant, peu à peu, ses actionnaires – dont il faisait lui-même partie –, ont dû déchanter : le cinéma ne décollait pas. Raymond Massard, qui vient d’une tradition familiale d’exploitants de cinémas locaux (sa mère avait le Kursall à Rumelange, qu’il a toujours gardé), pourtant, était rapide à stigmatiser des facteurs externes à ce manque de succès : la « concurrence déloyale » du grand frère du Kirchberg, la situation hasardeuse sur l’ancienne friche en plein réaménagement, la mauvaise implantation du cinéma au dernier étage du centre commercial (voir aussi page 10), les prix du parking... Mais les chiffres ne cessaient de dégringoler, jusqu’au coup de théâtre de l’automne dernier : les nouveaux actionnaires qui reprirent la société Caramba Sud s.a., la Financière Mercure, révoquèrent Raymond Massard et renommèrent la société en Cinébelval s.a., avec un nouveau directeur et une nouvelle identité visuelle pour un nouveau départ. « Cela a causé beaucoup de désagréments, puisque ça ne s’est pas fait dans la joie, se souvient aujourd’hui Jean Villemin, mais dans les difficultés et les chausse-trappes... Mais c’est fait. » Et d’esquisser un sourire derrière sa barbe grise. Tout pourtant n’est pas encore achevé, Raymond Massard devra encore répondre aux accusations d’abus de biens sociaux, d’abus de confiance et de vol domestique, selon la plainte déposée par les actionnaires de Cinébelval (d’Land du 09/11/12). Dans les couloirs, les rumeurs parlent de matériel technique qui aurait disparu, de voyages somptueux de l’ancien gérant à Las Vegas avec la carte de crédit de l’entreprise, voire même de vol de rouleaux de moquette lors de son départ.
Ce n’est donc que d’autant plus étonnant que l’homme puisse continuer à exploiter des salles de cinéma ailleurs. Car peu après sa révocation de Caramba Sud, son sàrl Caramba a dû déclarer faillite – ce qui, pour certains observateurs, serait une preuve qu’il alimentait ses autres salles à travers le pays, notamment dans le Sud, avec l’argent du multiplexe. « Nous sommes étonnés qu’après une faillite, on puisse continuer comme si de rien n’était, » estime ainsi Nico Simon. En effet, le réseau des cinémas programmés par Raymond Massard – et dont lui et sa famille tirent les profits –, bien qu’il rétrécisse peu à peu, continue à fonctionner sous le nom de Caramba, qui a éclaté en une nébuleuse d’associations et de sociétés aux enchevêtrements peu transparents. Ainsi, la programmation est désormais réalisée par une asbl, Images animées, fondée en mai 2011, apparemment aussi pour avoir droit aux aides étatiques du ministère de la Culture (qui ne vont que difficilement à une société commerciale). Les factures pour les sponsoring et les annonces dans le magazine de ses salles, sont par contre adressées par la société informatique de Raymond Massard (il est informaticien de profession), Plan-Net, également éditrice du magazine.
Si le « réseau » Caramba ne compte plus que trois salles historiques – le Kursall à Rumelange, la salle de la famille, ainsi que le Kinosch et l’Ariston à Esch-sur-Alzette, il vient toutefois de s’enrichir du Waasserhaus à Mondorf-les-Bains. Lors de l’inauguration, en décembre dernier, Raymond Massard y a d’ailleurs annoncé l’ouverture, au courant de cette année, d’une salle de cinéma au Neie Lycée à Mersch, salle qui serait ouverte au grand public local le soir.
Durant des années, les principaux arguments de Raymond Massard pour convaincre essentiellement des édiles communaux, parfois aussi des privés comme à Mondorf, d’avoir recours à ses services pour planifier et / ou programmer un cinéma était premièrement sa filiation et deuxièmement de s’ériger à la fois en victime de et en alternative à Utopia, qu’il décrivait en monopoliste. « N’importe quoi, lance un spécialiste du cinéma luxembourgeois, l’arrivée de Caramba n’a apporté ni diversité dans la programmation, ni baisse des prix d’entrée ! » Ce qu’il est le plus simple de constater, c’est la mauvaise planification du cinéma à Belval, avec des caisses mal situées et une perte de place énorme dans les couloirs, voire même dans les salles, dont les premières rangées sont tellement près de l’écran qu’elles sont impraticables. Peu à peu, l’image de « visionnaire » ou de « professionnel » du consultant ès cinéma s’écroule.
Alors que des salles comme Le Paris à Bettembourg ou le Cinémaacher justement, qui avaient fait partie durant plusieurs années du réseau Caramba, l’ont quitté depuis lors pour rejoindre le giron de la CDAC, d’autres pourraient suivre. Car à la Kulturfabrik, le conseil d’administration de l’asbl s’est tout de suite inquiété des conséquences que la faillite de Caramba sàrl. ainsi que de la plainte pour abus de biens sociaux pourraient avoir sur le Kinosch, le petit cinéma du complexe que loue Caramba. Sans constater de conséquences jusqu’à présent, la programmation et l’accueil continuent normalement. Mais ces événements n’ont fait qu’accélérer la réflexion que le directeur Serge Basso considère comme son « dernier grand chantier » de refonte de la Kufa, après dix ans. « Je suis en train de vérifier l’utilité et la viabilité d’un cinéma au sein de la Kufa, » explique-t-il, persuadé qu’il est que cette salle dans laquelle il n’est pas rare de se retrouver tout seul dans une séance, ne peut que représenter un gouffre financier. « Je suis persuadé qu’un cinéma n’est pas viable à la Kufa, » estime le directeur, qui a lancé une large consultation et voit nombre d’acteurs du milieu pour affiner son analyse. En 2012, le cinéma n’a accueilli que 3 500 spectateurs.
À Diekirch, au contraire, les réflexions vont dans le sens opposé : « Nous sommes en train d’analyser la faisabilité d’un cinéma à Diekirch, qui serait destiné à toute la population de la grande région, » s’avance le maire socialiste Claude Haagen avec beaucoup de circonspection. La dernière majorité politique, CSV-Déi Gréng, avait fait capoter un projet de multiplexe planifié il y a une dizaine d’années par... Raymond Massard (qui devait également en assurer la programmation avec une nouvelle société), et ce pour des raisons de coût notamment. Le LSAP, qui dispose d’une majorité absolue depuis 2011, promettait dans son programme électoral de relancer le débat. « Nous sommes en train d’élaborer un concept, de voir ce que nous voulons faire, dans quel bâtiment, où et qui en sera le maître d’ouvrage. Donc il est encore un peu tôt pour parler de l’exploitation de cet éventuel futur cinéma. »
Pour Jean Villemin et la vingtaine de personnes employées par la société (dont la moitié sont des étudiants à temps partiel), le futur est beaucoup plus concret et se dessine juste devant eux : le Cinébelval veut s’améliorer aussi bien du côté de ses chiffres, en étendant notamment sa « zone de chalandise » en direction de la région voisine française, que du côté de la qualité de l’accueil, afin d’être prêt pour l’arrivée des étudiants sur le site, d’ici septembre 2014. « On est un cinéma à but lucratif, concède-t-il sans ambages. Donc on doit faire des entrées. Mais on est là aussi pour nous adapter aux situations et aux attentes : on n’est pas des dogmatiques. »
Réponse à l’article « L’effet Mikado »
Le 25/1 Josée Hansen lors d’une analyse des salles de cinéma régionaux part à la croisade contre ma personne. 950 mots sur 2 000 pour essayer de dépeindre le portrait d’un homme malhonnête et non professionnel.
Voici ma réponse aux points soulevés :
La conception du CineBelval est ici critiquée pour des couloirs vides (en fait des surfaces non encore exploitées) et de quelques rangées de fauteuils, placés directement devant la scène réservés à d’autres événements. Alors que le public apprécie justement le confort des fauteuils.
« Malgré l'arrivée du multiplexe à Belval, la fréquentation des salles de cinéma n’a pas forcément augmenté au Luxembourg » est alors cité Nico Simon (Utopia S.A.). Faux ! Ci-dessous les chiffres, il y a eu en réalité une augmentation de treize pour cent.
« Mais les chiffres ne cessaient de dégringoler ». Faux ! Ce n’est que sous la direction Villemin que les chiffres tombent et le deuxième semestre de 2012 a été pour CineBelval un « all-time low » pour cette période. Kinosch : 3 500 spectateurs en 2012 ? Faux ! Il y en a eu 4 497. (+ 41,5, entre 30 pour cent et 20 p.c. selon les années du public total de la Kufa) Serge Basso a bien pris soin d’attendre que le Kinosch soit installé en numérique avant de lancer ses « analyses de viabilité ». Cinemaacher, c’était Caramba qui avait résilié le contrat. LeParis, la perspective de toucher des subsides qui sont refusés au cinémas du circuit Caramba était alléchante.
Le site de Belval problématique ?: oui ! (cf par exemple de multiples articles du Land). Stigmatisé la situation du cinéma au troisième étage dans le centre ? Jamais (il est d’ailleurs situé au deuxième) Et le prix du parking ? Jamais ! (gratuit du temps de ma direction).
Le monopole d’Utopia s.a., surtout avant l’ouverture de CineBelval ? Il est bien réel ! La société du Kirchberg ne dispose non seulement d’une prédominance économique mais a également réussi à créer un paradigme monopoliste englobant les autres cinémas, la politique, les médias, les journalistes, les institutions. D’où le terme « Utopia-mafia » utilisé par exemple par Josée Hansen dans le Land du 18/12/2003. Exemple ? Voilà : Hansen écrit sur Massard et se renseigne chez ... Simon.
Concurrence sans impact ? Faux : plus de salles, plus de films, plus de versions. Une fréquentation nationale qui augmente de dix à douze pour cent et qui à Esch passe de 39 000 (2008) à 262 000 (2011), soit de 572 pour cent ne devrait pas passer inaperçue.
« ...Le réseau des cinémas programmés par Raymond Massard – et dont lui et sa famille tirent les profits ». Injurieux : Prétendre que quelqu’un au Luxembourg puisse s’enrichir avec l’exploitation de cinémas régionaux non subventionnés (d’ailleurs les seuls) demande une portion d’inconscience incroyable.
Enrichissement au frais de CineBelval ? Faux : Caramba sàrl, en 2012, n’assurait plus que l’exploitation de CineBelval et CineLeparis. Dans la chronologie : Caramba a à sa charge l’ensemble des salaires des employés de CineBelval, seule une partie est remboursée par CineBelval, elle supporte les efforts de lancement de CineBelval avec promesse d’aide de l’actionnaire Financière Mercure, est éjectée au moment de l’augmentation de capital, conclut sur recommandation des banques un nouveau contrat pour la programmation de CineBelval, celui-ci est dénoncée par CineBelval le 12 juillet, les paiements sont arrêtés. Caramba doit alors déposer le bilan. 380 000 euros financés par des prêts bancaires, qu’il reste à rembourser, partis en fumée après plus de cinq ans de travail : drôle d’enrichissement. Avec comme résultat que CineBelval va encore plus mal.
Plainte au parquet pour « abus de biens sociaux, abus de confiance et de vol domestique » : plainte ridicule ! (voir d’Land 9/11/12 et ma réponse ci-contre). Participation à des conventions internationales du cinéma à Las Vegas et ailleurs ? Oui au profit de CineBelval (économies d’achat, contrats de financement... de l’ordre de plusieurs centaines de milliers d’euros) Utilisation de la carte de crédit de CineBelval ? Faux ! Je n’en ai jamais détenu. Aliénation de matériel ? Faux, c’est l’inverse ! J’ai dû menacer Villemin avec un dépêchement d’huissier pour récupérer enfin un vidéo projecteur m’appartenant et mis à disposition de CineBelval. Structure nébuleuse ? Faux ! Certainement pas plus que celle qui lie Utopia et le CDAC, deux entités, l’une privée, l’autre conventionnée avec l’État.
Seuls des gens, qui, de notoriété, me sont mal intentionnés sont cités dans les passages concernant ma personne. Le résultat : des allégations gratuites, fausses, calomnieuses, injurieuses, des « bruits de couloir », des « spécialistes du cinéma » anonymes. À aucun moment l’auteur de ce pamphlet n’a essayé de me contacter pour prendre position. Je ne me suis jamais présenté en tant que « visionnaire », mais me réjouis de voir que mes concurrents m’aient vu de cette façon.
Quant à la professionnalité, Madame Hansen, je pense qu’il est établi qui s’est fait remarquer par son absence de professionnalisme. A suivre devant les tribunaux .... Raymond Massard