Non, le poste de télé ou l’ordinateur dans sa chambre n’est pas un droit fondamental et oui, les parents ont le droit de garder un œil sur l’utilisation par leurs enfants des nouvelles technologies – téléphone portable inclus. À l’occasion de la célébration du vingtième anniversaire de l’adoption de la Convention internationale des droits de l’enfant, l’Ombudscomité pour les droits des enfants (ORK) accorde cette année une importance particulière au besoin d’accompagner l’enfant dans la découverte d’Internet pour limiter les risques liés aux nouvelles technologies. Le Conseil de l’Europe compte aussi intensifier son action pour protéger les enfants contre la violence de certains jeux vidéo et en ligne, sites pédopornographiques, harcèlement, chantage etc et lance des campagnes de sensibilisation qui s’adressent aux parents, enseignants et fournisseurs d’accès Internet. Mercredi, le Comité des ministres a adopté des lignes directrices qui prévoient la mise en œuvre de dispositifs nationaux visant à protéger les droits de l’enfant et à éliminer les violences à l’encontre des enfants.
En France par exemple, le Conseil supérieur de l’audiovisuel recommande une vie sans télé pour les enfants avant l’âge de trois ans (Le Monde, 14 novembre 2009). Jusqu’à huit ans, ils ne devraient regarder que des programmes réservés aux enfants. Cependant, en 2008, le journal télévisé, qui véhicule des images violentes, figurait parmi les dix programmes les plus regardés par les enfants entre quatre et dix ans. Le temps d’exposition aux écrans d’ordinateur et aux consoles de jeux devrait aussi être limité en fonction de l’âge de l’enfant.
Le droit des enfants sur Internet est d’ailleurs une des actions lancées par le ministère de la Famille avec ses partenaires dans le cadre de la campagne des droits de l’enfant (www.kannerrechter.lu).
Dans son rapport 2009 présenté jeudi soir, l’ORK cite des exemples effrayants de jeunes qui ont été victimes d’humiliations, de harcèle-ments, d’attaques et de menaces morales proférées par d’autres enfants et adolescents (cyberbulling) ou de dépendance aux jeux virtuels. Certains jeux débordent dans le monde réel et vont jusqu’à permettre la conversion de monnaie virtuelle en monnaie réelle, avec toutes les possibilités d’arnaque qui y sont liées.
Les discussions en ligne dans des forums et les instant messengers permettent de tout dévoiler de leur vie privée. La course aux « friends » pousse à s’ouvrir de plus en plus, quitte à publier des photos compromettantes sur des plateformes sociales comme Facebook, Twitter etc. L’ORK a été saisi d’un cas d’appel au suicide collectif lancé via chat room. La dynamique de groupe parmi les jeunes n’est pas à sous-estimer.
Aussi dangereux, le grooming, qui permet à des adultes mal intentionnés de prendre contact sous une fausse identité. Par des manipulations psychologiques, ils cherchent à obtenir l’amitié d’un adolescent ou d’un enfant sur Internet pour obtenir un rendez-vous et satisfaire leurs besoins sexuels. Il faut savoir que les cas de pédophilie sur Internet sont très fréquents. La police judiciaire mène entre vingt et trente perquisitions de grande envergure par an. Dans le Nord du pays, un enfant s’était vu offert la possibilité de participer gratuitement à un jeu et de gagner un téléphone portable avec une carte prépayée. La deuxième carte n’était plus gratuite et l’enfant avait dû répondre à une série de questions concernant la somme d’argent de poche dont il disposait ou de jouets qu’il pourrait vendre pour se payer les communications. Il s’est alors vu proposer un rendez-vous pour parler de sa situation… sans que ses parents ne soient au courant. « Ce qui nous rend attentif, c’est lorsque les enfants nous appellent pour nous demander quelle somme leur est due en tant qu’argent de poche par exemple, explique la présidente de l’ORK, Marie Anne Rodesch. C’est pendant la discussion que nous nous rendons compte de la gravité de certaines situations et nous pouvons donner l’alerte. »
Un autre souci qui touche beaucoup de parents sont les commandes passées par leurs enfants via Internet – musique, arbres généalogiques, horoscope personnalisé etc. Comme leurs enfants ne sont pas encore majeurs, les parents estiment qu’ils sont responsables de l’erreur parce qu’ils n’ont pas assez surveillé leur enfant. Ils acceptent souvent de payer la facture. Cependant, l’ORK leur déconseille de céder aux pressions des commerçants parce que ceux-ci n’ont pas le droit de conclure un marché avec des mineurs d’âge.
L’éducation aux médias, la prise de conscience du droit à l’image, la nécessité de doter la police de moyens et de personnel nécessaires pour traquer les criminels du Net sont quelques recommandations de l’ORK formulées à l’adresse du gouvernement et du public. Ensuite, la prévention : un concept global d’éducation des mineurs aux médias en prenant compte des initiatives existantes visant la promotion d’un usage plus sûr par les jeunes d’Internet comme Cases et Lusi1. Le Service national de la Jeunesse est d’ailleurs en charge d’élaborer ce dossier. Les parents n’auront donc plus aucune excuse de ne pas être au courant, même s’ils ne sont pas habitués à ce nouvel instrument qui fait pourtant partie de la vie quotidienne des enfants. D’où l’appel « urgent aux parents de s’informer et se former pour explorer l’Internet de façon responsable, afin de pouvoir initier et surveiller leurs enfants ».
Cependant, là aussi il s’agit de ne pas tomber dans l’autre extrême : le harcèlement moral des parents, l’excès de contrôle via le portable. L’ORK met en garde contre ce genre d’intrusion, qui peut mener à une « surveillance permanente par téléphone interposé ». Il s’agit d’un phénomène que subissent surtout les enfants de parents séparés. « L’enfant, qui est déjà exposé à un conflit de loyauté, est d’autant plus mal à l’aise, écrit l’ORK dans son rapport. Le portable est confisqué, parfois même détruit par le parent qui exerce son droit d’hébergement, une situation qui génère à nouveau des tensions. »
Plus de la moitié des saisines individuelles tombe sous le registre des conflits familiaux où l’enfant est pris en tenaille par ses parents et/ou ses grands-parents. Et là, la présidente de l’Ombudscomité se montre particulièrement agacée par l’égoïsme de certains parents qui se comportent de manière intraitable lorsqu’il s’agit de faire des concessions en faveur de l’enfant. Depuis sa création, l’ORK a présenté sept rapports qui reviennent tous sur ce phénomène. Il y exhorte les parents, qui ont mal vécu la séparation de leur conjoint, à se comporter de façon humaine envers leurs enfants. D’année en année, le ton des rapports de l’Ombudscomité est passé de l’appel à la raison, de la compassion à l’impatience jusqu’à l’irritation. « Pourquoi est-il si difficile d’expliquer à ces adultes entêtés, frustrés que le fait d’être conciliant faciliterait tant les rapports avec leurs enfants ? écrit-il. Face à l’attitude très égocentrique des parents dans ces situations, il ne nous reste plus qu’à faire appel au bon sens et à l’intelligence de l’enfant. » Et de proposer la médiation systématique avant d’entamer les procédures de divorce pour éviter que les enfants ne soient déchirés (« Kanner gi futti gemach »). Dans un cas précis, les parents y ont même dressé un programme jusqu’à la majorité de l’enfant. Dans un autre, des parents ont été jusqu’en Cour de cassation pour régler la question si oui ou non leur enfant devait suivre l’instruction religieuse. « Dans les cas particulièrement désespérés, notre intervention se concentre sur les entretiens avec les enfants afin de soulager leurs angoisses et de leur donner des règles de conduite et de survie », précise l’ORK qui admet toucher parfois à ses limites lorsque « l’espoir de raisonner les parents et de faire appel à leur sens de responsabilité est une chimère ». Ce comportement concerne d’ailleurs tous les milieux sociaux.
Malgré tout, Marie Anne Rodesch est toujours intimement convaincue par le principe de l’autorité parentale conjointe, même si elle admet qu’il est illusoire de penser que les parents sont toujours assez mûrs pour pouvoir partager cette responsabilité tout en se laissant guider exclusivement par ce qui est dans l’intérêt de l’enfant. Dans le contexte du vingtième anniversaire de la Convention des droits de l’enfant, le Conseil de l’Europe voudrait aussi renforcer la « conscience par l’État et les individus de leur obligation de condamner et prévenir la violence ainsi que d’assister les enfants victimes. » Rien qu’au Centre hospitalier de Luxembourg, les médecins de l’hôpital pédiatrique décèlent chaque jour un cas de maltraitance physique. C’est effrayant. La présidente de l’Ombudscomité recommande ici de mettre en place un Centre de diagnostic national de la maltraitance. Celui-ci permettrait d’éviter aux enfants blessés de subir d’autres calvaires.
1www.cases.lu et www.lusi.lu