On le voit tout sourire, face caméra, une belle ceinture en satin vert et rouge avec une médaille de Chevalier de la grande croix de l’Ordre du mérite de la République italienne (la plus haute distinction) épinglée sur sa rosace, jetée au-dessus de son épaule gauche. Entouré de proches et d’amis politiques et de longue date. Mars di Bartolomeo vient d’être ainsi honoré au Centre de documentation sur les migrations humaines à Dudelange, sa ville, par la République italienne, le pays de ses parents et grands-parents, pour son intégration exemplaire au grand-duché du Luxembourg, où il est devenu le « premier citoyen du pays », président de la Chambre des députés.
Felix Braz est, lui, est le pendant de Mars di Bartolomeo : enfant d’une vague d’immigration plus tardive, la portugaise, il est également devenu « quelqu’un » au Luxembourg, ministre de la Justice pour les Verts, et il aime à s’afficher comme un grand défenseur des droits de ses pairs, de quelque origine nationale qu’ils soient. C’est probablement pour cela qu’il a voulu chercher un très large consensus politique pour sa réforme de la législation sur le droit de nationalité, dont il présenta les résultats lundi. Car après la claque du référendum de 2015, le gouvernement DP/LSAP/Verts se doit de refermer les rangs sur les questions d’intégration et de citoyenneté.
Dès la présentation du projet de réforme, en octobre 2015, il était clair que Felix Braz proposait quelques avancées courageuses, concernant notamment la maîtrise de la langue luxembourgeoise, afin de pouvoir rétropédaler dans les négociations avec le CSV surtout. Ces concessions sur le niveau linguistique à atteindre finalement retenues – niveau A2 en expression orale et niveau B1 en compréhension à l’oral – sont telles qu’elles donnent même satisfaction au syndicat de la fonction publique, pourtant très à droite sur la question, craignant toujours que des non-Luxembourgeois puissent avoir accès au secteur protégé. Or, le fait que tout le débat sur l’accès à la nationalité semble se limiter à la question de la maîtrise de la seule langue luxembourgeoise étonne d’autant plus qu’officiellement, le grand-duché est un pays trilingue depuis la loi de 1984. Que la maîtrise du français et de l’allemand dégénère à la vitesse grand V ne semble pas valoir de discussion ; or, ne pas pouvoir écrire une phrase française sans fautes peut s’avérer socialement et économiquement plus pénalisant que de ne pas connaître la Eifeler Regel par cœur.
Ce qui étonne le plus, dans l’attitude de Felix Braz par rapport à cette réforme de l’accès à la nationalité, c’est son attitude défensive. Car oui, le Luxembourg a un important déficit démocratique à combler, avec 46 pour cent de résidents étrangers et un solde migratoire de 10 000 arrivants par an, des arrivées dues à son « économie dynamique » comme le souligne le ministre. Qu’un gouvernement de quadras tout aussi dynamiques veuille ouvrir l’accès à un passeport luxembourgeois à un plus grand nombre (en 2015, quelque 5 000 nouveaux citoyens en obtinrent un) pourrait donc être une excellente nouvelle. Introduction d’un droit du sol de la première génération, rétablissement de l’option (notamment pour les époux de Luxembourgeois), réduction de la clause de résidence avant de pouvoir demander la nationalité des sept ans actuels à cinq ans... les pistes vont dans une bonne direction, surtout en ces temps de remontées de l’extrême-droite ailleurs en Europe. Mais, et l’Asti a raison de le souligner, il n’y a plus de grandes ambitions de réaliser une réforme avant-gardiste, qui ferait du Luxembourg ce laboratoire d’un vivre-ensemble qui serait un réel argument à afficher dans le cadre de son nation branding, mais seulement une volonté de revenir à l’avant-2008.
La nationalité n’est pas un privilège qu’on obtient par une quelconque grâce du pouvoir, mais un partage, un échange où les deux parties s’enrichissent mutuellement. Mars di Bartolomeo et Felix Braz en sont de beaux exemples.