La citoyenneté européenne ne peut pas être à vendre. C’est le message qu’a voulu délivrer le Parlement européen le 16 janvier par une résolution adoptée à une large majorité (560 voix pour, 22 voix contre et 44 abstentions), par laquelle il dénonce entre autres, sans la mentionner explicitement, l’île de Malte qui prévoit de proposer un passeport maltais aux personnes riches non-européennes. Pour l’obtenir il faudra en effet aux candidats – limités à 1 800 – à cette mesure maltaise controversée baptisée « Individual Investor Programme », débourser 650 000 euros qui seront investis dans les hôpitaux, les infrastructures, l’éducation… Ils devront de plus acquérir une propriété de plus de 350 000 euros – ou louer une résidence pour 16 000 euros pendant cinq ans – et investir 150 000 euros d’investissement dans un instrument financier approuvé par le gouvernement maltais. Le gouvernement socialiste en place propose en outre des prix dégressifs pour la famille : 25 000 euros pour ses enfants mineurs et 50 000 euros pour les majeurs ou encore l’époux ou l’épouse.
Mais point d’obligation de résidence pour obtenir cette nationalité et par là même la citoyenneté européenne et la libre circulation dans l’espace Schengen. C’est un point qui irrite les députés européens. « Nous demandons à ce que cette législation, qui permet d’obtenir la citoyenneté maltaise sans jamais y avoir mis les pieds, ne soit pas mise en place » s’est insurgé l’allemand Manfred Weber au nom du groupe conservateur PPE au cours du débat. « À partir du moment où une personne n’a jamais mis les pieds dans un pays, on ne peut pas lui accorder la nationalité », a renchéri le libéral néerlandais Jan Mulder (ADLE) pour qui « il faut donc faire une distinction nette entre la citoyenneté et le permis de résider. Il serait bon que l’Europe adopte une directive très claire à ce sujet ».
« C’est une honte ! », s’est indigné le député conservateur maltais Jason Azzopardi, qui fustige aussi le fait qu’un cabinet privé, Henley & Partners, soit chargé d’examiner les candidatures et de collecter les fonds y afférant, empochant au passage une commission de 3 000 à 7 500 euros par passeport. « Un professeur peut-il noter honnêtement des élèves qui lui offriraient une telle somme ? », interrogeait l’eurodéputé d’opposition au gouvernement socialiste à l’origine de la proposition qui doit entrer en vigueur début février.
Du coté des socialistes, on est plutôt gêné aux entournures. « Je ne veux pas isoler un pays », qui a « besoin d’attirer des investissements » en raison de son positionnement périphérique a déclaré le chef du groupe S&D au Parlement, Hannes Swoboda. Il a aussi souligné que d’autres pays favorisaient l’accès à la nationalité en fonction de certains critères à linstar du sien, l’Autriche, qu’il n’a pas évoqué. Néanmoins, a-t-il continué, « il devrait être très clair qu’on ne peut pas acheter la citoyenneté ».
« Depuis l’entrée en vigueur du traité de Maastricht, le fait d’octroyer la nationalité d’un État membre signifie également accorder la citoyenneté européenne et tous les droits qui s’y attachent a rappelé la commissaire luxembourgeoise Viviane Reding à la justice, aux droits fondamentaux et à la citoyenneté. Les États doivent donc l’utiliser dans un esprit de sincère coopération ».
La résolution parlementaire vise sans les citer tous les États membres « qui ont adopté des régimes nationaux autorisant la vente directe ou indirecte de la citoyenneté européenne aux ressortissants de pays tiers » et les prie de « mettre ces régimes en conformité avec les valeurs de l’Union ». L’Autriche monnaie sa nationalité contre un investissement de trois millions d’euros au moins, celle de Chypre est moins chère, le candidat doit investir deux millions dans un régime immobilier et d’une donation de 500 000 euros à un fonds technologique. Le Portugal quant à lui a instauré un « permis de résidence pour activité d’investissement » assorti d’un transfert de capitaux d’un million d’euros minimum, ou d’une acquisition immobilière d’au moins 500 000 euros. La Hongrie requiert pour son passeport un investissement de 250 000 euros au minimum dans le secteur énergétique hongrois et dans des obligations du gouvernement. Les Pays Bas requièrent en échange d’un permis de séjour un investissement dans l’économie de 1,25 million d’euros et la Lettonie octroie aux extra-Européens un permis de résidence valable cinq ans dès qu’ils investissent dans une entreprise, le secteur financier ou un bien immobilier.
Ce qui est choquant dans cette concurrence entre États membres pour attirer les non-Européens riches et renflouer leurs caisses, c’est l’approche exactement inverse qui vise à discriminer les Européens provenant des États les plus pauvres. Cette nationalité à deux ou trois vitesses est évidente quand il s’agit d’accepter sans restriction depuis le 1er janvier les travailleurs roumains ou bulgares désireux de s’installer dans d’autres pays européens que le leur. Des limitations autorisées pendant une période maximum de sept ans dans les actes d’adhésion de ces deux pays, étaient encore appliquées en Allemagne, en Autriche en Belgique, en France, au Luxembourg, à Malte, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. L’Espagne en avait réintroduit en 2011 pour les seuls travailleurs roumains. Le premier ministre britannique David Cameron, qui a brandi la menace d’un afflux de réfugiés, souhaite même que cette mobilité pour les ressortissants d’un nouvel État membre dépende de la richesse du pays d’origine, par exemple de son PIB ou du salaire moyen.
Même si les Bulgares ou les Roumains ont accès à davantage de professions sans avoir besoin d’un permis de travail, ils ne peuvent bénéficier de l’accès à l’espace Schengen, qui leur a été refusé par les autres États en mars dernier. « On ne passe pas non plus d’une situation d’interdit total à une liberté absolue, insiste Cristian Dan Preda, eurodéputé roumain du PPE. Pour nous, cela ne représente pas une différence trop grande par rapport à ce qui avait cours avant. »