Les Roumains attendent depuis 2011 leur intégration dans l’espace Schengen de libre circulation en Europe. Mais la réponse des pays de l’Europe de l’Ouest est toujours la même : pas encore. Les 3 000 kilomètres de frontières roumaines vont devenir les frontières de l’espace Schengen, mais la Roumanie doit encore attendre. Malgré les rapports techniques positifs effectués par les experts de la Frontex, la police européenne des frontières, le dossier Schengen a pris une dimension politique qui ne joue pas en faveur des Roumains. En raison de la migration de la minorité rom en Europe de l’Ouest, la Roumanie n’est pas jugée prête à adhérer à l’espace de libre circulation.
La France, l’Allemagne et les Pays-Bas demandent aux Roumains de régler les questions liées à la migration des Roms et à la corruption avant de voir l’espace Schengen leur ouvrir ses portes. Même chose pour la Bulgarie qui a intégré l’Union européenne (UE) en 2007 aux côtés de la Roumanie. « La responsabilité de ces pays est d’assurer la sécurité à leurs frontières, a affirmé le ministre français Manuel Valls lors d’un débat organisé par la télévision française. L’Union reconnaît que ces pays ne sont pas prêts. On verra plus tard. » Quant à la question de la communauté rom, marginalisée et discriminée un peu partout en Europe, le ministre français est très clair. « La majorité des Roms doivent être reconduits à la frontière, a-t-il déclaré. Nous ne sommes pas là pour accueillir ces populations. » Sur les dix millions de Roms qui vivent actuellement en Europe, la Roumanie compte la plus grosse minorité avec deux millions de Roms sur les vingt millions de Roumains.
Cependant la grogne roumaine contre la frilosité des pays de l’Ouest est justifiée sur le fond. Selon les critères de Bruxelles, l’adhésion à l’espace Schengen est un dossier technique qui vise essentiellement la capacité d’un pays à défendre ses frontières. De ce point de vue, la Roumanie bénéficie de rapports techniques très positifs établis par des experts occidentaux. Ces dernières années, plus d’un milliard d’euros ont été investis dans la formation de la police des frontières roumaine et dans les équipements. « Nous nous sommes équipés en dernier, donc nous avons profité d’une technologie dernier cri qui dépasse sur certains points les capacités des polices occidentales », assure Catalin Paraschiv, le capitaine du vaisseau amiral de la police roumaine des frontières. La moitié du pactole investi a été assurée par le gouvernement de Bucarest, l’autre moitié a été prise en charge par une Union européenne soucieuse de défendre ses frontières orientales.
Lassés de voir leur candidature repoussée toujours plus loin, les Roumains ont fait savoir qu’ils en avaient assez. « Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour adhérer à l’espace Schengen, a déclaré le premier ministre roumain avant le Conseil européen des 19 et 20 décembre. Il ne reste plus aux États membres que de nous donner leur accord. Mais nous n’attendons plus de date précise. Quand ils en auront fini avec leurs élections nationales et réglé leurs problèmes, nous serons prêts. » Toutefois, les Roumains suspectent leurs partenaires occidentaux de conditionner leur adhésion à Schengen aux prochaines échéances électorales prévues en Europe de l’Ouest, lesquelles pourraient faire monter le score des formations extrémistes et populistes. Le thème de la criminalité des Roms et d’une éventuelle invasion de l’Ouest par ces masses pauvres vivant de la mendicité alimente le discours des formations populistes d’un bout à l’autre de l’Europe.
Lors du dernier Conseil européen, Bucarest espérait obtenir un compromis qui lui aurait permis d’intégrer, dans un premier temps, les frontières aérienne et maritime en laissant pour plus tard les frontières terrestres. Mais cette solution a été repoussée par les pays occidentaux. Un certain nombre de confusions entretenues par des hommes politiques en mal d’électorat sont déjà présentes dans l’opinion publique occidentale. Par exemple, l’adhésion de la Roumanie ne changera rien à la libre circulation des Roumains et des Roms en Europe, qu’ils ont obtenue en 2002. Ensuite, le fait que la Roumanie ne soit pas dans l’espace Schengen n’empêche pas les Roms de sillonner les grandes capitales européennes depuis onze ans, et rien ne pourra les en empêcher.
La liberté de circulation, un des principes de base de l’UE, est garantie à tous ses citoyens par le traité européen. Les Roms dotés d’un passeport roumain peuvent à tout moment voyager sans visa dans l’espace Schengen pour une période limitée à trois mois. Leur enlever ce droit ne ferait qu’accentuer la discrimination qu’ils subissent encore dans un certain nombre de pays. « Ce sera pire à partir du 1er janvier, car avec l’ouverture totale des frontières avec la Roumanie et la Bulgarie les Roms deviendront inexpulsables », a déclaré Marine Le Pen, la présidente du Front national en France. Une déclaration qui n’engage que son auteur, mais qui risque de répandre encore davantage la confusion dans l’opinion publique occidentale.
Maintenir la Roumanie hors de l’espace Schengen a créé une énorme frustration chez les Roumains qui se vivent comme des citoyens de seconde zone. « Mon message pour les hommes politiques français ?, s’est demandé le président Traian Basescu. Tout a des limites. On ne peut pas prendre comme prétexte la minorité rom de Paris pour justifier le refus de nous ouvrir l’espace Schengen. C’est un mensonge. » L’amertume du président reflète l’état d’esprit de la société roumaine.