Théâtre

Attraction-répulsion

d'Lëtzebuerger Land du 25.01.2013

Gildas Bourdet a adapté La reine de beauté de Leenane, une pièce de Martin McDonagh, scénariste du dérangeant et acclamé In Brugges. On y retrouve une relation d’amour et de haine entre une mère (Annette Schlechter) et sa fille quadragénaire (Véronique Fauconnet), qui se détestent et se torturent l’une l’autre, mais n’arrivent pas à se quitter. La pièce est jalonnée d’épisodes de violence et d’abus psychologiques entre ces deux femmes qui se déchirent et se repoussent, incapables d’échapper à leur vie commune et à ses habitudes bien ancrées. La haine n’est-elle possible que là où existe un véritable amour ?
Maureen, qui a dédié sa vie à prendre soin de sa mère – une femme acariâtre, égoïste et possessive – ne supporte plus sa vie de dur labeur à la ferme, dans un petit village perdu de l’Irlande en pleine crise. Le chômage et la misère poussent de plus en plus de jeunes à quitter le pays, mais Maureen demeure aux côtés de sa mère, endossant le rôle d’infirmière et de bourreaux en même temps. De violentes disputes éclatent sans cesse pendant lesquelles mère et fille se déchirent et s’insultent violemment. Maureen, désespérée de quitter sa vie de solitude et de pauvreté, est séduite par le baroudeur de la ferme voisine (très charmant : Emmanuel Leforgeur) et se laisse aller à rêver d’une vie de femme à ses côtés, loin de sa mère. Or, cette dernière ne reculera devant aucun coup bas pour empêcher sa fille de partir vivre sa vie et cette guerre psychologique les mènera jusqu’au point de non retour.
L’intrigue, pleine de déceptions, de secrets révélés et de trahisons, n’arrête pas de surprendre le public. L’espoir d’une fin heureuse des protagonistes n’est soulevé que pour être anéanti aussitôt. Au fil des disputes, des éléments du passé ressurgissent et rendent la relation entre mère et fille encore plus compliquée, mais également plus passionnante pour le public. La pièce s’inscrit dans un registre d’humour (très) noir, typique du monde littéraire anglophone. C’est justement là que l’adaptation de Gildas Bourdet atteint ses limites : il est très difficile de traduire le jargon irlandais et la langue des milieux sociaux défavorisés vers le français, sans tomber dans la simple vulgarité et sans devenir excessivement grossier. Les insultes très crues fusent et s’accumulent, ce qui devient parfois choquant quand on se remémore qu’il s’agit là d’une mère et de sa fille. Le portrait de McDonagh de la pauvre campagne irlandaise et du ressentiment des jeunes de la génération « no future » avec son propre langage et son propre style (représentée par l’excellent Brice Montagne), s’efface au profit de personnages un peu « racailles » et vulgaires, comme des clichés des banlieues françaises où règnent les petits caïds en survêtements et casquettes de contrebande.
Les acteurs sont néanmoins si convaincants dans leurs rôles (Véronique Fauconnet éblouissante en fille à bout de nerfs et au bord de la folie furieuse) que le spectateur vacille sans cesse entre pitié, rage et satisfaction devant tant de méchanceté entre les protagonistes. La mise en scène est colorée, vivante et surprenante. Des scènes de voix off dévoilent les pensées des personnages et apportent du calme et des moments de réflexion, avant que les cris ne reprennent de plus belle. Le suspens qui se construit au fil des révélations et des intrigues est tel, que le spectateur aurait presque envie de monter sur scène et d’intervenir dans la pièce.

La reine de beauté de Leenane de Martin McDonagh, adapté par Gildas Bourdet et mis en scène par Jérôme Varanfrain, décors de Jeanny Kratochwil ; avec : Véronique Fauconnet, Annette Schlechter, Emmanuel Leforgeur et Brice Montagne ; prochaines représentations au Théâtre ouvert Luxembourg ce soir, 25 janvier ainsi que les 29, 30 et 31 janvier et les 6, 7, 8, 14, 15 et 16 février, toujours à 20h30. Pour plus d’informations : www.tol.lu.
Nathalie Medernach
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