Lundi dernier, juste avant la première représentation de sa nouvelle mise en scène, Le Retour de Harold Pinter, prix Nobel de littérature en 2005, une rencontre étincelante a pu se faire avec Luc Bondy, metteur en scène déjà mythique. Un ravissement que de rencontrer cet homme vif, visiblement très heureux de mener de front ses carrières de directeur de théâtre, de directeur de festival (Wiener Festwochen) et de metteur en scène. Ce Suisse d’origine aime les grands défis et son incroyable énergie de créateur ainsi que sa belle franchise semblent convaincre tout le monde, sans concession. Il a succédé à Peter Stein à la tête de la Schaubühne de Berlin, a travaillé son théâtre et écrit dans les plus grandes capitales, s’inscrivant ainsi comme l’un des metteurs en scène majeurs, aujourd’hui en Europe.
Le Retour de Pinter dans une nouvelle traduction signée par Philippe Djian, présenté en début de semaine au Grand Théâtre (et actuellement en tournée) réunit un casting à couper le souffle. Dans un décor de Johannes Schütz, telle une nouvelle toile inexistante d’Edward Hopper (impression due à une sublime lumière et aux couleurs jaune-verte, bleu-gris et rouge de l’intérieur d’une maison anglaise plutôt prolétaire) un quasi polar, très étrange (marqué par une certaine lenteur, un rythme de jeu reliant les mots à la gestuelle des personnages) met en circuit des habitudes familiales monstrueuses autour d’un vieux patriarche, l’ancien boucher, Max incarné par Bruno Ganz, véritablement phénoménal dans un français réinventé mais parfait pour le rôle. Un homme qui se laisse aller à une cruauté-vulgarité, tout en conservant une lueur de tendresse envers son frère, Sam (Pascal Greggory transformé, jouant de son postiche) et ses trois fils, Joey, le boxeur (Louis Garrell), Lenny (le physique Micha Lascot) et Teddy, docteur en philosophie exilé aux États-Unis (Jérôme Kircher) et marié à Ruth, sublime et énigmatique Emmanuelle Seigner.
Max est devenu mauvais sans doute après le décès de sa femme, Jessie, qui est un spectre inexistant et pourtant omniprésent dans la proposition de Bondy. À la rencontre avec leur belle-fille/belle-sœur, Ruth, une confrontation avec elle, cet être ultra-féminin révèle tous les mécanismes machistes, tous les réflexes de ces monstres humains qui visiblement se condamnent eux-mêmes inconsciemment à vivre ensemble, se supportant comme une meute qui oublie peu à peu de s’aimer. Une pièce difficile qui demande un effort et de la patience de la part du public, mais qui convainc par son efficacité et son questionnement sur ce qu’est l’humain, livrée par des comédiens splendides, tous suspendus sur le même niveau de jeu – exceptionnel. Luc Bondy, maître de cette mise en scène s’explique ici sur sa façon d’appréhender sa passion et celle de ses acteurs.
d’Lëtzebuerger Land : Comment distinguez-vous votre rôle de directeur de l’Odéon de celui de metteur en scène ?
Luc Bondy : Je dirais que quand je suis directeur, je fais faire aux metteurs en scène ce que moi aussi j’aimerais faire et mon idéal c’est que les metteurs en scène choisissent des choses que moi j’aurais pu faire parce que sinon je dois tout faire (rires). Alors ce sont des pièces et des projets que j’aimerais moi-même réaliser, que je leur propose. Des rêves précis que j’ai moi-même. Travailler avec certains comédiens avec qui j’ai du plaisir à le faire, un peu comme avec une troupe.
On dit de vous que vous êtes un travailleur infatigable d’acteurs, que vous travaillez la précision des gestes et celle des mots. Comment avez-vous travaillé pour Le Retour avec ces acteurs très différents, avec des monuments d’acteurs tels que Bruno Ganz par exemple, qui tient pour la première fois un rôle en français ?
Je suis en effet infatigable parce que je ne le considère pas comme un travail. Je ne ressens pas d’usure. Faire du théâtre, créer une pièce du début jusqu’à la fin, en prenant tout en compte, je le ressens comme une véritable nécessité. C’est une nécessité aussi de travailler avec des acteurs. On pourrait me reprocher de trop accentuer sur les acteurs... mais tout dans une pièce, la respiration, l’esthétique, les mots, tout passe par les acteurs et il faut voir à la fraction de seconde, chaque détail. C’est normal.
Donc les gestes sont aussi importants que les mots ?
Absolument, oui, il n’y a pas de différence. C’est à dire que s’il n’y a que les mots, c’est très ennuyeux et quand il n’y a que les gestes, cela devient quelque chose de différent que le théâtre. Mais je pense qu’une pièce est toujours plus intéressante quand les gestes sont correctement posés que s’il n’y a que les mots.
Pensez-vous vraiment que l’énigme ultime de la vie c’est la mort ? Et que tout tourne autour de cela lorsque l’on crée ?
Oui, tout à fait, c’est ce que je pense complètement. Dans Salomé de Strauss, elle chante que l’amour est la plus grande énigme de la vie. Et moi je dis instinctivement non, la mort est la plus grande énigme. Les gens qui sont morts, mes amis – ils sont là, quand je travaille, c’est toujours une présence. J’avais un grand ami, un grand metteur en scène, Peter Zadek, et souvent je pense à lui quand je fais quelque chose. Je fais intervenir des gens qui ne sont plus là. Je les fais intervenir comme si je leur parlais dans la vie, on continue à parler avec les morts, c’est comme ça, pas avec tous, mais avec ceux-là en tous cas (rires).
Qu’en est-il des vivants ? Comme vous avez tant de rêves précis de mises en scène, de collaborations, qui sont les gens avec qui vous souhaiteriez travailler ces prochaines saisons ?
Idéalement... je vais travailler avec Isabelle Huppert bientôt, mais j’aimerais aussi travailler avec Isabelle Adjani. Je l’aime beaucoup.
Comment envisagez-vous un nouveau public, comme le public luxembourgeois, un public presque vierge ?
Je me concentre sur l’adaptation de la pièce sur une nouvelle scène. Je ne pense pas trop au public quand je suis metteur en scène. En principe, j’aime beaucoup les tournées, mais il y a des contraintes. Le Théâtre de l’Odéon est plus petit que la grande scène ici par exemple – elle est plus vaste et pour que la relation entre la scène et le public puisse se faire dans Le Retour, il a fallu retravailler les plus petits détails. Revoir les déplacements, la voix avec chacun des comédiens. J’oublie le public. En tout cas, ce que je sais, c’est que vous avez ici un directeur de théâtre, Frank Feitler, qui est intelligent et qui permet un bon travail, il sait programmer aussi dans un contexte international.
Nathalie Medernach
Catégories: Théâtre et danse
Édition: 18.01.2013