« Papa… C’est quoi ça ? »

Claire Parsons et Christiane Nishimwe dans À propos Liewen
Foto: Nathan Roux
d'Lëtzebuerger Land vom 02.02.2024

Venu avec mon baromètre à mesurer le degré de magie de l’une ou l’autre pièce jeune public, À propos de Liewen n’a pas échappé à l’émerveillement de la jeune assistance… Dans le cadre de Fabula Rasa, les Rotondes accueillaient la compagnie Kopla Bunz pour cette pièce, adressée à la petite enfance, inspirée du livre d’images Das ist das Leben de Christian Borstlap, sous la direction de Ela Baumann qui mettant en scène et en folie, deux virtuoses de la musique luxembourgeoise : Claire Parsons et Marie Christiane Nishimwe.

On a longtemps considéré le spectacle « jeune public » comme le repli des artistes ne trouvant pas de scène ou de spectateurs dans le « tout public ». Alors que ce genre-là impose la même rigueur intellectuelle, créative et technique. Aujourd’hui enfin, le jeune public est considéré à la même hauteur que « l’autre ». Ainsi, les artistes les plus talentueux du pays passent d’un genre à l’autre avec passion. Comme le dit l’adage, « un bon spectacle pour enfant, est un bon spectacle pour adulte », hymne pour cette nouvelle génération qui s’adonne au jeune public.

À propos de Liewen est un vibrant exemple d’une composition scénique pour enfants, abritant des artistes du monde des adultes. La compagnie Kopla Bunz a premièrement largement conquis les scènes des grands en s’attaquant à des morceaux tels que 1984 de Georges Orwell, ou en montant comme ils le décrivent « toutes sortes de manifestations de dialogue entre la musique, la danse, le théâtre et les arts visuels ». Une ligne brève de présentation qui finalement pourrait portraiturer le présent spectacle.

Dans À propos de Liewen, outre décorum, trucs-muches et créatures, Claire Parsons et Marie Christiane Nishimwe occupent la scène. Deux magnifiques artistes de la scène musicale grand-ducale des adultes. La première musicienne contemporaine reconnue voyageant de scène en scène dans l’Europe, et la seconde chanteuse d’opéra, proche d’un registre plus classique. Ela Baumann invite donc ces deux grandes dames, pour créer un superbe duo. Au plateau, elles sont drôles, virtuoses parfois, extravagantes souvent, et surtout, elles offrent un moment de partage entre la scène et la salle très accompli.

« C’est quoi la vie, au juste ? ». Question centrale de la pièce, prétexte à l’imaginaire que comporte la vie quand on la pense sous toutes ses formes. Alors, ici, tout part d’une graine, amenant à faire naître des créatures diverses et variées, des êtres de toutes sortes, connectés les uns aux autres, s’entrechoquant parfois dans leurs différences, se complétant aussi. À propos de Liewen parle de symbiose et de concurrence, de la vie au sens premier.

Alors, on ne criera pas au génie quant à la dramaturgie qui ronronne, empruntant pas mal de chemins de traverse, sans trop se risquer à de fulgurants détours, qui auraient pu permettre une exploration en profondeur. Mais à quoi bon, quand un spectacle peut se suffire à son essentiel. À propos de Liewen, dans sa construction narrative, va ainsi droit au but, utilisant objets et marionnettes, comme apparaissant pour ouvrir successivement de nouveaux tableaux rythmés par une autre chanson, une mélodie, des sons, bruits, onomatopées, ou mix and match de langues, offrant ce que la compagnie elle-même décrit comme un « charabia », le langage de ce merveilleux pays spectaculaire… C’est donc tout à fait efficace, et le récit grandit avec les personnages qui petit à petit occupent de plus en plus l’espace, en voix comme corporellement, mais aussi dans les traces qu’ils y laissent.

La scénographie faite de plusieurs tables roulantes mettant en exposition les objets n’explore pas les ressorts du décor en fac-similé. Également à l’origine des costumes et des accessoires, Dagmar Weitze signe un ensemble visuel exclusivement fait de textile pour décliner un monde étranger et d’étrangetés, bariolé de couleurs, et plein de vie. Au service des deux interprètes en scène, toute cette faune et cette flore imaginée permet l’action du spectacle et offre des émotions multiples oscillant de la drôlerie à la surprise.

Une déception néanmoins : « On n’a pas vu le bonhomme du programme… Celui avec les drôles de lunettes… » Règle #1 de l’adulte à l’enfant, ne jamais faire de promesse qu’on ne pourrait tenir. Pourtant, À propos de Liewen en regorge de bien d’autres, et l’enfant malgré ses exigences spectatorielles, en sort rassasié, à l’image du sourire qui occupe les visages de chacun d’eux au sortir de la salle…

Godefroy Gordet
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