ThÉÂtre

À fleur de peau

d'Lëtzebuerger Land vom 26.01.2024

Pour démarrer la nouvelle année, le TOL a choisi La Visite d’Anne Berest, une pièce sur la maternité et les idées préconçues qui l’accompagnent. Deux jeunes luxembourgeoises, nouvelles venues dans le petit théâtre de la route de Thionville, s’en emparent. Christine Muller endosse (pour la première fois) le rôle de metteure en scène et Rosalie Maes interprète la jeune femme (qui n’est pas nommée dans la pièce).

La Visite est un monologue créé (et mis en scène) en 2020 par Anne Berest pour Lolita Chammah. Cette pièce coup de poing sur la fibre maternelle, sur le désir ou non d’enfant, s’inscrit tout naturellement dans la lignée des thèmes de prédilection du TOL qui aime mettre en lumière des questions de société, des sujets engagés qui touchent les femmes d’aujourd’hui. La Visite en fait partie. Son propos va à l’encontre de la bien-pensance et s’affiche direct et radical mais, heureusement, ponctué d’humour.

Dès son entrée au TOL, le spectateur découvre une jeune femme qui apparait assez vite sur le devant de la scène, guettant l’arrivée des spectateurs... des « cousins du Canada » venus rendre visite à la petite. Rapidement, leur présence va peser pour celle qui s’est repliée sur elle-même dans un appartement étriqué, dans ce pays où « je ne me sens pas tout à fait chez moi ». Elle, la scientifique, qui a suivi son mari, chercheur nommé à l’université de Minneapolis, dans le Minnesota. Elle qui devrait finir sa thèse mais qui a tout lâché depuis sa maternité. Tout part désormais en vrille, sa vie universitaire, sa vie sociale, sa vie amoureuse, sa vie de femme… Alors que son mari se fait attendre et que la petite dort encore, elle essaye d’accueillir sa belle-famille dans les règles de l’art mais dérape, s’excuse et se laisse emporter par un flux de paroles, idées fixes, regrets, cauchemars, pensées névrotiques qui font voler en éclats le soi-disant bonheur d’être mère !

Dans un discours déréglé, tantôt rationnel, tantôt sans queue ni tête, la jeune femme use de la parole comme passage obligé vers la délivrance et vers une renaissance. Il touche à l’intime, au social, au politique et même à l’écologique. Il en va des montées de lait et de l’obligation d’allaiter, de la non-préparation au rôle de mère et des énormes responsabilités, de la bataille pour la survie du bébé, de la culpabilité de ne pas bien faire, de l’isolement social et de la solitude, de la fatigue, du relâchement du corps et de l’esprit, de l’étiolement du couple, de la perte des désirs et de la féminité, du regard des autres…

Grâce à une scénographie efficace (signée Christian Klein), le plateau est délimité par un long rideau blanc qui sépare le salon des autres pièces qui sont hors-champ (un mobile d’éveil s’animera tout à coup en inquiétantes ombres chinoises). Sur un long meuble en bois, plusieurs rétroprojecteurs vont servir à la jeune femme pour donner corps à ses paroles au fil de petites expériences scientifiques, notamment mélanges de liquides qui composeront à l’écran d’étranges et abstraites cartographies. Elle donnera aussi vie à des parents (ingénieuse présence à travers une chemise, un foulard), comme lorsqu’elle convoque cette grand-mère sans enfant pour qui « tous les enfants sont de droite ! ».

Pas facile d’incarner cette jeune mère à bout de souffle en nuançant ses paroles, ses états d’âme et ses humeurs. Dans ce seule-en-scène, la jeune Rosalie Maes a du mal à trouver le juste équilibre entre moments de débordement et d’apaisement et à faire ressortir l’humour qui sied au texte. La mise en scène de Christine Muller peine, elle aussi, à trouver son rythme, laissant le spectateur sur sa faim et donnant un goût d’inachevé à cette Visite.

Karine Sitarz
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