Ça court dans tous les sens, sans vraiment jamais s’arrêter. Pas un plan sans mouvement, pas une séquence sans tension. La Nuit Blanche de Vincent (Tomer Sisley), policier à Paris, le spectateur va la vivre avec la même intensité. Tout commence le matin, des pneus qui crissent, des dealers et des flics que l’on différencie à peine tant la violence est égale. Un homme est à terre, mais on va surtout suivre ce sac de cuir noir, rempli d’« au moins huit kilos » de cocaïne, selon les estimations de Manuel (Laurent Stocker), le coéquipier de Vincent. Mais l’euphorie de la corruption sera de courte durée : Vincent a été reconnu et son fils Thomas (Samy Seghir) est pris en otage par les petites mains d’un patron de discothèque, José (Serge Riaboukine), qui lui donne quelques heures pour lui restituer son sac. La chose n’est pas aisée, puisqu’il intéresse également ses collègues Vignali (Lizzie Brocheré), qui l’a suivi, et Lacombe (Julien Boisselier, enfin loin de ses rôles de romantique), ainsi que le destinataire de la drogue, Feydek (JoeyStarr), un dealer de grande envergure.
Les enjeux, s’ils sont différents, sont donc cruciaux pour tout le monde. Cette assimilation passe par un portrait précis, voire parfois un peu réducteur, de l’ensemble des personnages, dès leur entrée. Mais alors que l’on croyait les connaître, du moins les identifier par leur morale, les masques volent en éclats : qui sont vraiment les flics ripoux ? Sans pouvoir parler de réel retournement de situation, les modèles vacillants apportent toutefois une énergie supplémentaire à l’intrigue et donc à la mise en scène.
S’il est assez courant de voir de tels personnages prêts à tout, il n’est pas si fréquent de voir la mise en scène l’assumer à tel point. Dans le huis clos de cet immense complexe dédié aux plaisirs de la nuit, la caméra ne suit pas Vincent, elle le frôle, le cherche, l’invective même parfois. Les allers-retours entre les différents lieux, le bureau, les cuisines, le club, donnent le tournis et l’impression que les personnages évoluent dans un jeu vidéo où les mondes ne seraient jamais clairement identifiés, ni vidés de ses méchants. La violence est bien là, physique, verbale, psychologique : les coups, les tirs, les mensonges et les trahisons font partie de la nuit et les enferme tous.
Dans ce labyrinthe de plus en plus inquiétant, le père et le fils rentrent en communication par intermittence, comme à leur habitude. À l’heure de la libération, c’est Thomas qui prendra soin de Vincent, d’une manière finalement rationnelle : les rôles se sont inversés, père et fils auront mûris, les autres se débattront encore.
Cinéaste plutôt rare et orienté vers la comédie (Cravate Club, 2002), Frédéric Jardin n’est pas passé au polar en dilettante. Écrit à quatre mains avec le spécialiste du genre Nicolas Saada (Espion(s), 2009), Nuit Blanche est un film efficace de par une écriture solide et un univers visuel particulièrement adapté, jamais dans le style mais bien dans la justesse de l’urgence.
Et avant d’en rendre un montage ultra-dynamique, les images viennent du chef opérateur Tom Stern, qui officie depuis une décennie aux côtés de Clint Eastwood. Coproduit par Paul Thiltges Distribution, une partie du tournage s’est donc déroulé au Luxembourg : il faut voir les rues du quartier de la gare filmées par Stern qui, délesté de son équipement habituel au profit d’un appareil photo et d’une équipe réduite, se les approprie allègrement en saturant les façades et en transformant l’avenue de la Liberté en boulevard de la mort, aux premières secondes du film.
À l’occasion de l’avant-première la semaine dernière, les producteurs Paul Thiltges et David Grumbach ne cachaient pas leur fierté quant à leur participation volontariste à cette Nuit Blanche, qui, après une distribution américaine, en fera l’objet d’un remake.