Après dix ans de fonctionnement un peu chaotique, la loi du 8 juin 1999 sur les pensions complémentaires connaît son premier véritable accroc. Personne ne s’en étonnera. Le caractère discriminatoire d’une législation, qui avait surtout servi de faire-valoir au gouvernement de l’époque pour faire passer – avant des élections législatives – une autre loi sur les fonds de pension internationaux, vient d’être épinglé devant le tribunal administratif, lequel a demandé l’arbitrage des juges de la Cour constitutionnelle pour trancher un litige opposant la veuve d’un banquier à l’Administration des contributions directes. La dame en question refuse que les indemnités qu’elle a touchées au titre d’un plan de pension assorti d’une garantie de décès soient frappées par l’impôt, selon le droit fiscal commun. Or, les pensions complémentaires ont droit à un régime dérogatoire : seul un impôt forfaitaire sur les primes, donc à l’entrée du plan de pension, est à payer. De plus, cette charge repose en principe sur l’employeur.
« Le gouvernement attendra la position de la Cour constitutionnelle avant de réagir, pronostique une source proche du dossier. Si les juges considèrent qu’il n’y a pas de traitement discriminatoire, ce sera un point marqué par les autorités pour prouver que le mécanisme fonctionne. Si la Cour sanctionne le dispositif, il faudra bien assurer l’égalité pour tous les employés bénéficiaires d’un plan de pension complémentaire ».
Quoi qu’il en soit, il ne faudra pas s’attendre à une refonte en profondeur du dispositif, ni à un allègement de la fiscalité des plans de pension, comme le souhaitent pourtant les milieux financiers. En plein débat sur la limitation des bonus aux banquiers, un coup de pouce aux rémunérations extra-légales passerait pour un affront. Rappel des faits. Comme de nombreux autres établissements de la place, la banque HSBC Republic Bank a mis en place, en 1988, pour ses employés un régime de pension complémentaire prévoyant des prestations en cas de retraite, d’invalidité et de décès. On est bien avant la loi du 8 juin 1999 qui va obliger les entreprises à mettre de l’ordre dans leurs plans de pensions internes. Ces plans échappaient jusqu’alors à tout contrôle. Un désert juridique qui avait donné lieu à pas mal d’aberrations. Comme celle de dirigeants bancaires étrangers repartant dans leur pays d’origine avec d’énormes pactoles exempts de tout impôt au grand-duché. Ou celle d’un établissement de crédit, en l’occurrence la BCCI, qui fit faillite et vit partir en fumée les contributions de ses employés au Provident Fund.
La réglementation de 1999 sur les régimes complémentaires de pension va notamment obliger les employeurs à souscrire une assurance de groupe, externe donc, pour garantir leurs promesses. HSBC Republic Bank se tourne ainsi vers la compagnie d’assurance Zurich pour la couverture des risques décès et invalidité. Les employés de la banque sont soumis à un questionnaire médical. Zurich refuse néanmoins d’assurer l’époux de Madame X, lequel présentait des antécédents de maladie cardio-vasculaire. À moins de payer une surprime de 200 pour cent. Ce que le patron a bien sûr refusé en raison de ce surcoût.
En 2004, le mari décède. En janvier 2005, HSBC verse 445 062 euros à la veuve au titre de la partie non assurée de la pension complémentaire de survie. Comme il n’y a pas eu de prime d’assurances en raison de l’état de santé du banquier, il n’y a pas eu d’impôts. C’est ce qui a poussé deux ans plus tard l’Administration des contributions directes à en exiger le paiement.
En mars 2007, Madame X reçoit un courrier dont elle aurait volontiers fait l’économie : le bulletin de l’impôt sur le revenu des personnes physiques établit ses revenus à plus de 500 000 euros au titre de l’année 2005, dont 442 565 euros correspondant à des « revenus extraordinaires » tirés de la pension complémentaire de survie. La cote d’impôt est alors fixée à 83 054 euros. L’administration fiscale réclame un montant de 76 535 euros sur les revenus extraordinaires. Ce qui représente pour la veuve un taux d’imposition réel de 17,71 pour cent.
Si son époux avait été en bonne santé, argue-t-elle, le fisc aurait dû se contenter de l’impôt de 20 pour cent sur les primes, soit un montant de 2 278 euros (payés directement à l’État par l’employeur). À comparer avec les presque 80 000 euros réclamés à la veuve. Est-ce là le prix à payer par les ayants droit d’employés en mauvaise santé ?
Les contestations de la dame laissent toutefois le directeur de l’ACD insensible. En septembre 2007, il rejette la réclamation en faisant une interprétation très rigoureuse de la loi du 8 juin 1999 : puisque l’impôt forfaitaire sur les primes (vingt pour cent) n’a pas été versé à l’entrée du plan par la banque, comme cela est normalement prévu, les prestations sont imposables à la sortie. Il n’est pas question de les exempter comme le prévoit pourtant la législation sur les pensions complémentaires. « Les prestations versées par un régime interne, écrit le directeur, ne sont pas exemptées fiscalement si les dotations auxquelles elles se rapportent n’ont pas été passibles de l’impôt ».Devant le tribunal administratif, le gouvernement fera plaider que la prestation de 445 062 euros versée par HSBC n’entre pas dans le cadre de la loi de 1999 sur les pensions complémentaires. D’où l’application du droit fiscal commun et la lourde taxation qui en a suivi. Selon ce raisonnement, la prestation litigieuse serait intervenue sur la base d’une promesse « individuelle et personnelle » de la banque à son cadre dirigeant. Faux, lui fait rétorquer la veuve : la seule promesse que HSBC a faite est contenue dans un règlement de pension qui est un document de nature collective et s’adressant à tous les salariés de l’entreprise.
La loi du 8 juin 1999 a fait l’impasse totale sur les cas d’employés non-assurables et le traitement fiscal auquel ils ont droit. Or, s’il n’est pas obligatoire pour les entreprises, un plan de pension complémentaire, lorsqu’il a le mérite d’exister, doit s’appliquer à tous les salariés. Et les entreprises ont l’obligation d’assurer les risques décès et invalidité.
La question qui se pose dans cette affaire est celle du traitement fiscal différent qui est fait entre les employés « assurables », parce qu’ils sont en bonne santé, et ceux qui ne le sont pas. Si des différences de traitement peuvent être tolérées, elles ne peuvent l’être que si elles poursuivent un objectif rationnel, légitime. Et en l’occurrence, on a du mal à voir dans la discrimination dont la dame est victime un caractère « adéquat et proportionné ». Pourquoi d’ailleurs l’administration fiscale n’a-t-elle pas calculé l’impôt sur la base de primes théoriques plutôt que d’appliquer le tarif fort ?
L’affaire de la veuve X pose des questions de principe qui vont bien au-delà des intérêts financiers. La loi du 8 juin 1999 induit en effet des discriminations qui dépassent le volet purement fiscal. HSBC aurait pu payer la surprime pour son employé malade ou même trouver une autre compagnie d’assurance pour couvrir le risque décès, a argumenté le représentant de l’État à l’audience. Facile à dire. La dure réalité du monde du travail montre une image moins idylique du magnanisme patronal. N’est-ce pas ici la porte ouverte à des discriminations fondées sur l’âge ou l’état de santé d’une personne candidate à l’embauche ? Un employeur qui offre un plan de pension va évidemment préférer un homme ou une femme jeunes et en bonne santé pour ne pas devoir payer de surprime. C’est donc l’enjeu de la question préjudicielle qui a été posée par le tribunal administratif à la Cour constitutionnelle.
Faudra-t-il changer la loi et pour quel modèle ? Emprunter des éléments au modèle mutualiste français, où tous les salariés d’une entreprise, qu’ils soient en bonne ou en mauvaise santé, sont traités à l’identique et ne peuvent être exclus par les assureurs, pourrait probablement inspirer le législateur luxembourgeois.
Cette affaire HSBC prouve en tout cas que l’assurance groupe au Luxembourg n’en a que le nom. « L’assurance collective au Luxembourg, c’est de l’assurance individuelle mise en commun », ironise d’ailleurs un actuaire.