Une centaine d’artistes se sont servis au Louvre, invités à imaginer une copie de l’œuvre de leur choix

Appropriations

d'Lëtzebuerger Land du 04.07.2025

Pas de doute, il doit y avoir des institutions qui vont jalouser le Centre Pompidou- Metz. À peine a-t-il pu puiser à pleines mains dans les fonds de la maison mère, pour l’exposition parsemée d’œuvres de l’Italien Maurizio Cattelan, que le voici dans une collaboration exceptionnelle avec le musée du Louvre. Sa directrice Chiara Parisi et le conseiller parisien pour les programmes contemporains Donation Grau ont en effet invité une centaine d’artistes de choisir dans les collections du Louvre une œuvre et d’en imaginer la copie. Avec l’accent mis sur la part d’imagination, de création, d’originalité donc, alors que le terme de copie, même pour les copistes devant les chefs-d’œuvre d’un musée, a fortiori pour les cancres, suggère plutôt une simple reproduction (utile en des temps lointains pour la diffusion de l’art). Le copier-coller de jadis.

La modernité (pour faire vite et court) a été allergique, hostile à la copie. Takesada Matsutani, de l’avant-garde japonaise Gutai, de refuser carrément l’exercice d’imitation, il est dans l’exposition dite des Copistes, s’étant souvenu d’une dénomination qu’il utilisait souvent dans les années 1980 : Propagation, « donner naissance d’un nouvel être... ». Appropriation conviendrait autant, ou alors on dirait que ces artistes, à l’image des abeilles, ont été appelés à extraire leur miel des œuvres du Louvre.

Pierre Buraglio ne figure pas dans l’exposition, bien que dans une bonne partie de son travail il procède « d’après… autour de… avec... », mais il le fait dans une volonté plus analytique. Alors que dans la galerie 3 de Metz, les artistes, de toute provenance, de tout genre, de toute démarche, s’en donnent à cœur joie, d’arrangement, d’adaptation, de détournement. Ah, la raison peut-être de voir nos préférences aller vers ceux qui par le moins disent le plus, joli tour de passe-passe de Christodoulos Panayiotou par exemple, dès l’entrée de l’exposition, avec Expressément, gouache et aquarelle sur toile, où est fixée une page du testament de Delacroix. Ou plus loin, bel exemple, de simplicité et de rigueur, la sculpture en terre cuite d’un Orant, de la civilisation d’Ur, d’Antony Gormley, d’une évidence non dépourvue de mystère.

Il fallait s’y attendre. Il est des œuvres du Louvre, des artistes du passé, qui en ont attiré plus d’un. Et pour quoi échapper à Delacroix, à sa Liberté, ou à Géricault, à son Radeau, à la Joconde bien sûr, à la Victoire de Samothrace, et j’en passe. Plus étonnant que trois « copistes » aient été inspirés par le marbre d’un Hermaphrodite endormi, vers 100 - 150, dont Matsutani justement, ou Jeff Koons qui le charge de boules de verre qui reflètent tout ce qui entoure. Là, l’œuvre initiale continue quand même à se donner telle quelle, ailleurs, souvent, toujours (à part pour ce qui est parfaitement connu), il peut être utile d’arpenter l’exposition, le catalogue à la main, y sont reproduits les points de départ, on combine de la sorte une visite très variée du Louvre et celle des Copistes. Et le côté spectaculaire de l’exposition n’en est que plus accentué.

De la même façon que les artistes invités, des plus célèbres à ceux qu’on apprend à connaître, ont pu procéder dans leur choix dans les collections du Louvre, et on peut supposer ou deviner parfois leurs hésitations, les visiteurs des Copistes parcourront les salles, un tour peut-être rien que pour se laisser aller au rythme effréné des appropriations ou propagations, à leur dispersion, leur éparpillement, pour revenir à la fin à telles pièces et s’y attarder. Chose qui peut dépendre soit de l’original soit de la copie, de l’aliénation qu’on trouvera particulièrement prenante ou enrichissante.

Allons-y toujours pour Eugène Delacroix, comment Agnès Thurnauer fait surgir les figures emblématiques de la Liberté entre les lignes d’un roman de Monique Wittig, les Guérillères, il date de 1969, le moment importe, moment de lutte lui-même, il était reçu à l’époque comme une utopie féministe, ou une épopée à l’image des amazones ; comment Bertrand Lavier, lui, réduit le même tableau aux objets qui y figurent, fusil à baïonnette, pistolet, drapeau, il reste une structure, une matérialité. Et l’on quittera les Copistes avec une autre figure féminine empruntée toujours à Delacroix, Jeune orpheline au cimetière, chez le peintre du 19e, la voici placée, isolée dans un savant espace pictural, chez Djamel Tatah, et l’on n’oubliera plus son expression, ni son regard au loin.

Lucien Kayser
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