Comme le GIEC ne publie ses rapports que tous les cinq à sept ans et que le réchauffement met les bouchées doubles, un groupe international de scientifiques, dont d’anciens auteurs de ces rapports, a entrepris de produire tous les ans un état des lieux intermédiaire. Le dernier en date, troisième de la série, publié le 19 juin dans la revue Earth System Science Data (ESSD) sous un titre austère, contient un avertissement qui aurait normalement dû mettre tous les humains en alerte maximale : L’objectif de l’accord de Paris, qui est de tout faire pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré au-dessus de la température de l’ère préindustrielle, ne peut raisonnablement plus être atteint.
Les indicateurs agrégés par les chercheurs et leurs calculs sont sans appel. Le réchauffement s’intensifie, au point que le budget carbone restant – les émissions de gaz à effet de serre que l’humanité peut encore s’autoriser si elle veut optimiser les chances de rester sous le seuil convenu il y a près de dix ans – correspond désormais, à 130 milliards de tonnes, à moins de trois années d’émissions annuelles globales. Ce budget était de 500 millions de tonnes début 2020.
Sur la période 2014-2019, la moyenne des émissions annuelles de gaz à effet de serre est restée au même niveau que de 2010 à 2019, à 53 milliards de tonnes, alors qu’elle aurait dû baisser sensiblement pour rester dans les clous. La concentration de CO2 dans l’atmosphère a continué de croître, atteignant 422,8 ppm aujourd’hui. Facteur aggravant, la lutte contre la pollution de l’air a entraîné une baisse des émissions d’aérosols tels que le dioxyde de soufre, particules qui ont un effet refroidissant. La montée des océans s’est accélérée, au rythme de 3,91 mm par an entre 2006 et 2024, plus de deux fois plus que la moyenne enregistrée depuis 1901. Parmi les conséquences néfastes, les chercheurs notent une augmentation de la fréquence et de l’intensité des événements extrêmes tels que canicules, sécheresses, inondations ou incendies. Selon une autre étude publiée par la NASA le 17 juin à partir des données de son satellite Grace, la fréquence, la durée et la sévérité de ces événements extrêmes étaient le double l’an dernier de celles de la moyenne des années 2003 à 2020.
Une autre conséquence inquiétante, relevée récemment par le climatologue Michael Mann et ses collègues, est l’accentuation des phénomènes de blocage des jet streams, ces courants d’air situés entre troposphère et stratosphère qui sont un facteur important de la circulation atmosphérique et impactent directement les phénomènes météorologiques. Due au dégel des glaces de l’Arctique, cette accentuation a pour conséquence de pouvoir bloquer sur une région des extrêmes de pluie, de chaleur ou de froid. Aux États-Unis, en 2018, une situation faite d’une zone de haute pression sur l’ouest et d’une autre de basse pression sur l’est a ainsi perduré un mois, avec pour conséquence un cocktail accablant de canicules, sécheresses et incendies à l’ouest, tandis que l’est était noyé sous des pluies extrêmes.
Cependant, les scientifiques prennent soin de préciser que bien qu’alarmantes, ces constatations ne signifient pas qu’il faille baisser les bras. Si l’objectif de 1,5 degré ne peut plus être atteint, c’est en raison d’inerties sociétales. C’est pourquoi ils appellent à redoubler d’ambition. Sur France-Info, Christophe Cassou, qui a participé à l’étude publiée dans ESSD, met en garde contre toute tentation de revenir sur l’accord de Paris, tout en préconisant de s’engager dès maintenant dans des mesures d’atténuation qui soient à la fois « extrêmement importantes et rapides ». Il rappelle que les considérations de justice doivent impérativement faire partie de telles mesures : « Si on classe en termes de revenus, les dix pour cent les plus riches en France émettent trois fois plus de gaz que les dix pour cent les plus pauvres. Et les dix pour cent les plus pauvres n’ont pas cette capacité d’action. On utilise cette généralité (une lutte globale contre le réchauffement climatique) pour cliver. C’est une stratégie politique, et cette stratégie est suicidaire ».
Alors que les apprentis sorciers s’efforcent de mettre le monde à feu et à sang, que les actions de guerre qu’ils ordonnent depuis leurs QG climatisés occupent les manchettes, ces études sont évidemment passées quasi-inaperçues. Au lieu de s’attacher à dévier l’humanité de cette trajectoire mortifère, le monde préfère s’inquiéter du risque qu’un blocage du détroit d’Hormouz puisse faire flamber le prix du pétrole. Une déstabilisation des flux et marchés mondiaux des hydrocarbures est donc perçue comme plus dangereuse pour l’humanité qu’un dérèglement irréversible du système climatique terrestre.