En février 2024, le gouvernement égyptien et le fonds souverain d’Abu Dhabi ont conclu un accord pour investir 35 milliards de dollars dans le développement de Ras El-Hekma, située sur la côte méditerranéenne. Cette péninsule devrait devenir à terme une destination touristique mondiale adossée à un centre financier et une zone franche dotée d’infrastructures de classe mondiale. L’Égypte a connu en 2024 un quasi-quintuplement des investissements étrangers sur son sol. Ils ont atteint le montant record de 46 milliards de dollars. Mais c’est l’arbre qui cache la forêt, car dans le monde en 2024, les IDE (investissements directs à l’étranger) ont connu une nouvelle baisse après celle de 2023.
Les IDE financent, à l’étranger, la construction de sites industriels ou commerciaux, des projets d’infrastructure (énergie et transports) et des acquisitions d’entreprises locales. Selon le Rapport 2025 sur les investissements dans le monde, publié le 19 juin par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), leur montant global a, en apparence, augmenté de quatre pour cent en 2024 pour atteindre 1 500 milliards de dollars. Mais cette hausse est en trompe-l’œil car elle est due, entre autres, aux « flux financiers transitant par certaines économies européennes qui servent souvent de points de transfert pour les investissements ». Le Luxembourg en fait partie.
En réalité, si on élimine l’incidence de ces économies, les IDE ont reculé de onze pour cent au niveau mondial, enregistrant ainsi une deuxième année consécutive de baisse, après celle de dix pour cent relevée en 2023, confirmant ainsi la tendance au ralentissement des flux de capitaux productifs. Les IDE sont principalement issus, à hauteur de 70 pour cent, des économies développées : 28 pour cent viennent de l’UE et 22 pour cent des États-Unis. Parmi les autres pays du monde, la Chine à elle seule pèse le tiers des outflows.
Les IDE se dirigent majoritairement (58 pour cent) vers les économies en développement (developing economies) la Chine, l’Asie du Sud-Est et l’Amérique latine en absorbant 43 pour cent. Concernant les IDE entrants, la contre-performance de l’Europe, qui en a accueilli moitié moins en 2024 (– 58 pour cent précisément), a tiré vers le bas les économies développées qui ont affiché une baisse totale de 22 pour cent. Entre 2022 et 2024, l’Europe n’a pas été très attirante. Sa croissance a été affectée par la crise de l’énergie, le rebond de l’inflation et celui des taux d’intérêt. Elle souffre de plus, notamment dans l’UE, d’une image de zone surréglementée. Le quatuor Allemagne-Espagne-France-Italie a connu une baisse globale des flux entrants de 25 pour cent environ tandis le Royaume-Uni devait faire face à d’importants désinvestissements.
La part de l’Europe dans les IDE entrants mondiaux est ainsi passée de 24,6 pour cent en 2023 à 14,4 pour cent en 2024, soit dix points de moins. Elle est désormais inférieure à celle des États-Unis, qui restaient l’an dernier le premier destinataire mondial, ayant engrangé 279 milliards de dollars en IDE (+ 20 pour cent). Le dynamisme de leur économie, dont la croissance a été, en 2023 et 2024, deux à trois fois plus rapide que dans l’UE malgré les mêmes obstacles, et un contexte bien plus business friendly expliquent que leur attractivité ne se dément pas.
Dans les économies en développement, les flux entrants sont apparus globalement stables, mais là aussi une étude détaillée offre un autre éclairage. Par grandes régions, c’est l’Afrique qui a apparemment le plus profité des IDE, avec une augmentation de 75 pour cent. Celle-ci reflète en réalité un seul grand projet en Égypte. Mais, si on l’exclut, les flux ont tout de même augmenté de douze pour cent, soutenus par des réformes réglementaires facilitant les investissements. C’est mieux que l’Amérique latine et les Caraïbes, qui ont enregistré une baisse de douze pour cent du total des flux, malgré les annonces de nouveaux projets sur des marchés clés comme l’Argentine, le Brésil et le Mexique. En valeur, cette région du monde pèse toujours 70 pour cent de plus que l’Afrique. Sans surprise, l’Asie est restée la première destination mondiale avec plus de 600 milliards de dollars reçus (quarante pour cent du total mondial), malgré un léger recul en 2024. Avec une hausse de dix pour cent, les pays d’Asie du Sud-Est ont atteint 225 milliards de dollars, soit le deuxième niveau le plus élevé jamais enregistré chez eux.
Du côté des IDE sortants, même si certains pays ont maintenu ou augmenté leurs flux, l’ensemble composé des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Allemagne, de la France et de la Suède, qui pesait près des deux-tiers du total en 2023, a réduit ses investissements de 38 pour cent, soit de près de 240 milliards de dollars ! Pour certains experts, cette baisse des IDE sortants des pays développés et la stagnation des IDE entrants dans les pays en développement ne doit pas forcément être interprétée de façon négative. Ainsi l’éditorialiste du quotidien économique français Les Echos y voyait le 20 juin « la fin du capital aveugle, celui qui partait les yeux fermés au bout du monde pour comprimer ses coûts salariaux ou grappiller des parts de marché », avec comme résultat « une autre démondialisation » après la contraction prévisible du commerce international.
En revanche la CNUCED s’inquiète pour les économies en développement, car les niveaux actuels d’IDE entrants sont déjà loin de répondre aux besoins. À lui seul, le comblement du déficit de financement des 17 objectifs de développement durable (ODD), adoptés en 2015 et supposés être atteints en 2030, nécessiterait environ 4 000 milliards de dollars par an dans les pays en développement, un objectif qui semble totalement hors d’atteinte. L’organisation onusienne pointe aussi un problème de fléchage des capitaux. Dans de nombreuses économies, les capitaux ne sont pas dirigés vers les secteurs les plus importants, à savoir les infrastructures, l’énergie, les technologies et les industries qui sont les moteurs de la création d’emplois. Selon Rebecca Grynspan, secrétaire générale de la CNUCED, « le système continue d’acheminer les capitaux là où c’est le plus facile, et non là où ils sont nécessaires » à savoir les infrastructures, l’énergie, les technologies et les industries qui sont les moteurs de la création d’emplois. Le résultat est que « trop d’économies sont laissées pour compte » malgré leur potentiel.
Au niveau mondial, le financement international de projets, souvent essentiel pour les infrastructures, a chuté de 26 pour cent en 2024. La baisse a été particulièrement forte dans les secteurs essentiels à la réalisation des ODD : les énergies renouvelables (- 31 pour cent), les transports (- 32 pour cent) ainsi que l’eau et l’assainissement (- 30 pour cent). Les IDE dans l’économie numérique ont augmenté de 14 pour cent, tirés par la fabrication de matériels liés aux technologies de l’information et de la communication (TIC) et de semi-conducteurs, et par les services numériques. Mais cette croissance est restée très concentrée : dix pays ont représenté 80 pour cent de tous les nouveaux projets numériques, laissant de nombreuses économies en développement exclues du boom numérique en raison de lacunes persistantes en matière d’infrastructures, de réglementation et de compétences. La conjoncture économique et surtout géopolitique du premier semestre 2025 provoque l’attentisme des investisseurs et laisse présager, pour la troisième année consécutive, un nouveau décrochage des IDE.
Le poids du Luxembourg
Les chiffres donnent le vertige. Selon le rapport annuel « FDI in figures » publié par l’OCDE le 30 avril dernier, le Luxembourg, pays de 700 000 habitants, a été en 2024 la deuxième destination mondiale des IDE avec 106 milliards de dollars, loin derrière les États-Unis (308 milliards) mais largement devant le Canada (64 milliards). Il a été aussi le quatrième émetteur mondial avec près de 109 milliards, derrière les États-Unis, le Japon et la Chine. Ces montants, supérieurs d’un quart à celui du PIB du Grand-Duché, ne doivent naturellement rien à son poids économique mais plutôt à sa position de place financière internationale. Le Luxembourg est ainsi le « terrain de jeu » d’une multitude d’ « Entités à vocation spéciale » (EVS) plus connues sous leur sigle anglais de SPE (Special Purpose Entities).
De droit local ou pas, mais sans réelle activité économique sur place, elles sont contrôlées par de grands investisseurs non-résidents. Leur rôle est essentiel dans la titrisation, la gestion des flux financiers intra-groupes et l’optimisation fiscale. Comme les flux entrants et sortants relatifs à ces EVS dépendent des stratégies suivies par les multinationales, qui peuvent changer rapidement, ils sont affectés d’à-coups très violents d’une année sur l’autre. Ainsi au Luxembourg, alors que les flux in and out étaient positifs en 2021, ils sont devenus lourdement négatifs en 2022 (- 316 milliards pour les flux entrants, - 192 milliards pour les flux sortants) et le sont restés, à moindre niveau, en 2023 avant de redevenir positifs en 2024. Des flux négatifs signifient que les retraits sont supérieurs aux nouveaux investissements, sans que cela traduise pour autant une méfiance vis-à-vis du pays d’accueil des EVS. Le rapport de l’OCDE d’avril 2025 identifie neuf autres pays abritant ces structures : en Europe, les Pays-Bas occupent une place éminente, comparable à celle du Luxembourg. S’y ajoutent l’Autriche, la Belgique, la Hongrie, l’Islande, la Lettonie, le Portugal et la Suisse. Hors d’Europe, seul le Chili fait partie du lot. Les montants transitant par ces plaques-tournantes, et leurs variations erratiques, faussent totalement les données mondiales sur les IDE et impliquent des retraitements statistiques assez complexes.