Catherine Kontz est l’un des rares compositeurs contemporains luxembourgeois. Il se trouve que c’est une femme et curieusement, il y en a eu d’autres au Luxembourg, deux, très exactement, Lou Koster et Hélène Buchholtz – toutes deux ont marqué l’histoire de la musique du début du XXe siècle, mais sont restés interprètes aussi, pianiste et violoniste. Catherine Kontz quant à elle, après des études de piano au Conservatoire de la Ville de Luxembourg (auprès de son maître, Michèle Ries) et d’économie, elle s’est finalement décidée à devenir compositrice, s’inscrivant dans le registre avant-gardiste des musiques nouvelles. Elle cherche sans cesse à déplacer les limites de la musique contemporaine et intégrer celle-ci dans des spectacles scéniques multidisciplinaires. Aujourd’hui, elle a composé et met en scène un opéra intitulé Neige, présenté les 19 et 20 décembre prochains sur l’arrière-scène du studio du Grand Théâtre. Composer et mettre en scène soi-même, cela lui permet d’intégrer exactement ses idées visuelles dans la partition musicale et induit ainsi une synthèse complète de tous les éléments : sonores, visuels et de jeu. Influencée par les aspects théâtraux du kabuki japonais, bien plus dynamique que le théâtre nô (conception plus spirituelle et aristocratique de la vie, transposée du théâtre), parce que cette forme épique du théâtre japonais inclut ce qu’aime la metteuse en scène par dessus tout, à savoir, le chant, la danse et l’habileté technique. Catherine Kontz vise avant tout de créer un paysage musical délicatement ciselé, qui révèle le mystère de ce conte existentiel, mettant en exergue les thèmes de l’amour, de la mort et de la transmission du savoir. Elle annonce dans un large sourire, signe de générosité et de sérénité, une expérience extraordinaire pour le public. Et au bout de deux heures d’entretien accordé au Land, où elle ouvre les portes sur son univers si particulier (y compris les coulisses et la mise en place scénographique) tissé a priori d’une épaisse toile d’opacité, parce que lié à un savoir technique et à une recherche en créativité très fins (acquis au Goldsmith College à Londres). Et pourtant... Et pourtant, elle est légère, avenante et elle semble faire partie de ces créateurs qui n’ont rien à prouver (surtout pas par la force de l’arrogance), mais qui s’y attèlent vraiment et dont le résultat semble approcher l’envoûtement.
d’Land : Comment et à quel moment le projet de cet opéra est-il né ?
Catherine Kontz : Le projet en lui-même est né après la lecture de Neige, ce roman initiatique de Maxence Fermine qui raconte le périple (du Nord au Sud du Japon) de Yuko, jeune poète qui compose des haïkus, enfermés dans la blancheur de la neige de son Nord natal pour lesquels il recherche néanmoins la couleur auprès d’un maître – un peintre aveugle. Le livre, qui pour moi est une parabole de la transmission du savoir, ici la poésie, en toute complicité est le seul que je me voyais convertir en musique, sous forme d’opéra contemporain et le mettre en scène au Grand Théâtre. De part le conte, mais aussi de part sa structure simple qui m’a permis de la transposer en leçons distinctes mais clairement reliées. J’avais la nécessité de pouvoir tourner autour du cirque, d’une part – avec le personnage de cette belle funambule Neige, qui fait en quelque sorte le lien entre l’élève et son maître et le Japon, d’autre part – une culture fascinante de laquelle je me sens curieusement très proche. Il faut que j’ajoute que Neige est une commande du Grand Théâtre, initiée par Frank Feitler et Gaby Stehres, tous deux m’ont offert une véritable carte blanche.
Quelle est la méthode de travail lorsqu’on adapte, écrit le livret et compose un opéra ?
Par rapport à l’écrit, je me suis concentrée sur les personnages principaux du livre, Yuko, le maître Soseki, Neige, qui chante malgré sa mort, tellement elle a encore de souffle, il y en a que j’ai exclus – ils auraient contribué à une confusion que je veux à tout prix éviter, et d’autres que je fais davantage apparaître, pour permettre une meilleure accessibilité. Car mine de rien, il s’agit de musique nouvelle, d’un opéra qui plus est, qui souffre de l’image élitiste, de non-accessibilité justement. Ensuite, pour ce qui est de la musique, j’écris tout à la main, je ne peux tout simplement pas composer sur un ordinateur et surtout pas écouter la version digitale, qui bien sûr existe parce que sinon j’aurais dû recopier à la main chacune des partitions. Je compose toujours dans l’ordre, en tentant de sentir quels seront les besoins dans le développement de l’histoire, j’aimerais ressentir ce que traversera l’auditoire. (Elle se lève et montre les partitions, caresse les feuilles et indique du doigt les différents éléments qui lui sont chers, les différentes leçons, les intermèdes, le chant en vocalise de Neige). J’adore la langue française aussi. J’écris tout en français, cette langue se prête à la composition. J’ai tellement hâte de pouvoir répéter avec l’ensemble, les chanteurs, la funambule, le décor, tout.
Parlez-moi un peu de la composition scénique.
Il y aura cinq chanteurs solistes et un petit chœur de femmes, qui seront accompagnés par un danseur et une funambule/acrobate. Il s’agit vraiment d’une expérience multidisciplinaire de théâtre musical. Pour ce qui est des instruments, il aura sur scène l’Ensemble Lucilin qui prendra possession de quatorze instruments différents, dont par exemple un grand tambour taiko et un harmonica de verre – ils seront entièrement intégrés dans la scénographie.
La scénographie joue un rôle crucial dans votre mise en scène. Que doit-elle représenter exactement ?
Je travaille depuis toujours avec Ellan Parry, plasticienne et scénographe, il s’agit d’une collaboration de longue date. Pour Neige, elle a su créer un paysage montagneux inspiré des estampes japonaises, un décor mobile qui monte et qui descend. Exactement ce qu’il fallait. Un travail réalisé à partir de plusieurs pans de tissus blanc suspendus, ceci dans l’idée de pouvoir offrir un canevas pour les projections qui fonctionnent comme la main du peintre qui progressivement injecte la couleur dans la blancheur du début du conte. Il y aura un langage de lignes, évoquant à la fois l’image de fils tendus, la calligraphie et les haïkus, ainsi que l’intégration des sous-titres, tout ceci créera un ensemble esthétique cohérent qui fera vivre avec le chant et l’intervention des instruments, tout le périple de Yuko – qui raconte la complicité de la transmission du savoir entre l’élève et son maître.