Le Musée de la Cour d’Or est devenu discret au fur et à mesure que l’art contemporain s’est emparé de la ville de Metz. Un choix politique qui n’est pas anodin : l’art contemporain dépoussière l’image de la capitale mosellane, que l’on disait ennuyeuse et ronflante suite à plusieurs décennies d’immobilisme culturel. Sinistrée sur ses contours avec la disparition progressive de l’industrie sidérurgique dans la vallée de la Fensch, Metz a dû se réinventer. Alors que le patrimoine se réfère au passé, l’art contemporain esquisse un avenir, impulse une dynamique, introduit des sujets en rapport avec l’actualité et mobilise des moyens technologiques résolument modernes. Et parfois avec bonheur, lorsque le mapping habillant chaque été la cathédrale Saint-Étienne parvient à réconcilier ces temporalités.
Le Musée de la Cour d’or, dont le nom est emprunté à l’ancien palais des rois mérovingiens d’Austrasie (sixième au huitième siècle), est donc le grenier de la cité messine. Il en renferme la mémoire de ses origines lointaines, de l’Antiquité à la Renaissance en passant par le siècle des Lumières représenté par le progressisme éclairé de l’Abée Grégoire. Le bâtiment, plutôt austère de prime abord car dépourvu de fenêtres, plonge le public dans l’obscurité de ses boyaux archéologiques à la découverte de ses thermes gallo-romains, de l’autel dédié à Mithra, du chancel de Saint-Pierre-aux-Nonnains ou des squelettes qui impressionneront du fond de leur sépulture.
L’institution messine a fait elle-aussi peau neuve. Tout d’abord en bénéficiant depuis 2017 d’une entrée lumineuse qui donne sur la bibliothèque de la chapelle des Carmes, autrefois inaccessible au public. Assurément une réussite, même si cet aménagement manque encore de convivialité notamment parce qu’il s’agit d’un espace immense laissé vide. Puis le musée s’est efforcé de suivre le mouvement en jetant à son tour des ponts entre ses collections et l’art contemporain. C’est le cas de Chemin de croix, mini exposition temporaire initiée dans le cadre des 800 ans de la cathédrale de Metz. Une manifestation à l’initiative de Claus Zöllner, un amateur et collectionneur d’art qui a proposé à quatorze artistes de revisiter aujourd’hui les différentes stations qui jalonnent le chemin de la Passion. L’idée initiale était plutôt pertinente – celle de traiter un sujet classique avec le regard du 21e siècle – et collait même au sens premier, étymologique, du contemporain, à savoir celui de faire coexister des temporalités différentes, de rendre sensible la lueur fragile et lointaine héritée de la tradition (chrétienne, en ce cas). D’autant plus qu’il s’agit d’un exercice incontournable pour tout artiste se refusant à faire table rase du passé – et ils sont nombreux à s’être prêtés au jeu, de Picasso à Adel Abdessemed. Or l’ensemble, composé ici de dix tableaux et de quatre sculptures, est d’une faiblesse désarmante pour une institution muséale. Cela frôle (involontairement) le kitsch, relève de l’image sulpicienne la plus niaise, faisant de Jésus non pas un être vivant et sublime capable d’émouvoir par la puissance de ses actions et de sa parole, mais un concept abstrait, une imagerie qui sent la bigoterie, dans tous les cas l’absence d’imagination créatrice. Le Christ ne partage pas une humaine souffrance, il est pure Image détachée de la condition terrestre, à l’instar des représentations candides qu’en donnent Dieter Muller et Jean-Marie Zacchi... On y retrouve les principaux défauts décoratifs que l’on voit habituellement dans la pratique amateure, à l’image de ce Christ portant sa croix en contre jour d’un coucher de soleil aux couleurs éclatantes que l’on doit à Michèle Battut. De tels tableaux pourraient rejoindre sans difficulté les collections d’éléphants dans la savane d’Ikea. À la limite, c’est la tentative qui en devient touchante en ce qu’elle est imparfaite et... terriblement manquée. Elle nous interroge enfin sur l’incapacité des peintres de notre temps à traduire visuellement leur foi (si c’est de foi dont il s’agit), ou tout au moins leurs visions de la Bible. On ne peut tout mettre sur le dos du désenchantement du monde et de sa prétendue désacralisation, puisque les maniéristes toscans eux-même s’étaient déjà débarrassés de cette ferveur après le sac de Rome. Seul le style comptait pour eux. Et le style, ici, il n’y en a pas, sinon celui, mondial, qui emplit les rayons des supermarchés. Un Calvaire pour l’art, un supplice pour le public.