L’on pressentait que la politique étrangère sous le gouvernement Frieden-Bettel n’allait pas être guidée par des idéaux humanistes. L’accord de coalition CSV-DP avait en effet informé de l’adoption d’une « approche intégrée » entre diplomatie, commerce extérieur et coopération. En clair, ceci voulait dire que les relations politiques seraient jugées à l’aune de leur valeur commerciale. Dans le programme gouvernemental figure aussi l’engagement « d’approfondir la coopération transatlantique, au sein de l’Otan, ainsi qu’au niveau bilatéral ». Le document avait été écrit avant les élections qui ont réinstallé Donald Trump à la Maison Blanche. Les ministres luxembourgeois avaient, dans les premières semaines, pris quelque peu leurs distances avec la nouvelle administration américaine. Après la conférence sur la sécurité de Munich où J.D. Vance avait expliqué que l’ennemi n’était pas la Russie mais le wokisme, les responsables politiques européens semblaient avoir accepté le nouvel impératif d’autonomie en matière de sécurité et s’être émancipés de l’Oncle Sam. Ils semblent pourtant aujourd’hui se rouler aux pieds du président-alpha. « Operation Schleimspur », a ainsi titré le Spiegel. Sur les photos mises en ligne par le gouvernement luxembourgeois, le ministre des Affaires étrangères, Xavier Bettel et sa collègue à la Défense, Yuriko Backes, les yeux écarquillés, les bras tendus le long du corps, grand sourire aux lèvres, paraissent boire les paroles Donald Trump, quelles qu’elles soient.
« Mir sinn net de Mippchen (vun den USA). » Xavier Bettel, dément ce mercredi la question du journaliste François Aulner sur RTL Radio. Celui-ci venait de faire allusion au message flagorneur du secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte, envoyé au président américain après qu’il a ordonné de bombarder les installations nucléaires iraniennes samedi : « It makes us all safer. That was truly extraordinary », a texté l’ancien Premier ministre néerlandais. Et surtout illégal vis-à-vis du droit international. Les alliés des Américains se sont bien gardés de le rappeler. Sur RTL Radio samedi, Xavier Bettel s’est contenté de prêcher pour une désescalade au Proche-Orient. Ce mercredi, après avoir donné son feu vert pour un accroissement (en cinq ans) de la contribution à l’Otan de trois à cinq pour cent du revenu national brut, Xavier Bettel conteste toute naïveté : « C’est l’armée la plus forte du monde. Il est préférable de l’avoir de notre côté. » Interrogé sur l’inaction européenne face au massacre conduit par le gouvernement israélien dans la bande de Gaza, le numéro deux du gouvernement expose qu’il aurait dit à son homologue américain, Marco Rubio, qu’en retour de « ce plus beau des cadeaux offerts à Israël » (l’attaque sur l’Iran), ce dernier pourrait exiger un cessez-le-feu à Netanyahu. Luc Frieden a, lui, croisé Donald Trump pour la première fois à La Haye. Face aux médias, le chef du gouvernement a confié lui avoir rappelé la « relation historique entre les États-Unis et le Luxembourg (…) et vouloir tout faire pour la poursuivre ».
Un renoncement à toute ambition européenne face à l’omnipotence américaine ? Oui. Xavier Bettel ne s’est même pas rendu lundi matin à Bruxelles pour la réunion des ministres des Affaires étrangères, (auto) excusé pour cause de fête nationale. Y était discuté le document réalisé par les services diplomatiques de l’UE attestant qu’Israël dérogeait à ses engagements en matière de respect des droits de l’Homme dans le cadre de l’accord d’association. Ce jeudi, le Premier ministre a enterré la prétention de son second de vouloir exercer de la pression sur Netanyahu en suspendant tout ou partie dudit accord, comme le veulent l’Espagne et l’Irlande. En tant « qu’ami d’Israël », la voie du « dialogue » est privilégiée. La droite européenne s’apprête à dumper des décennies de construction du droit international, notamment en matière de condamnation des crimes de masse. Elle est par ailleurs en train de détricoter la réglementation en matière de respect des droits humains sur les chaines d’approvisionnement des entreprises. Elle bloque en outre, avec l’extrême droite, la législation contre l’écoblanchiment ou pour la coopération au développement. Comme le relève La Matinale européenne, l’UE n’a comme unique échappatoire à sa désunion que de se terrer dans l’ombre de Donald Trump (y compris en cédant à sa guerre commerciale), perdant ainsi toute ambition de puissance ou d’autonomie. Le média spécialisé dans les affaires européennes, se réfère à Jean-Claude Juncker qui souligne (une critique peu coutumière) que la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, n’a toujours pas été reçue par Trump. L’Europe se dissout dans le populisme de droite.