Plusieurs nouveaux hôtels ouvriront dans les mois à venir, augmentant la capacité hôtelière de la capitale de dix pour cent. Le secteur s’interroge sur la clientèle potentielle pour les remplir

4 000 chambres en ville

Sur la façade de l’hôtel Alfa en travaux, une projection de la future brasserie
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 26.07.2024

Le bâtiment au numéro 16 de la Place de la Gare est l’un des plus emblématiques du quartier. Avec sa façade de style «zigg zagg», typique de l’Art Déco et qui évoque les palaces parisiens, l’hôtel Alfa fait partie du patrimoine urbain de la capitale depuis presque un siècle puisqu’il a été inauguré en 1932. Fermé avec fracas en mars 2017, l’établissement fait l’objet d’ une vaste rénovation et devrait rouvrir ses portes « avant la fin de l’année 2024 ». C’est ce qu’annonce le groupe d’hôtellerie international Marriott qui en assurera la gestion. L’heure est encore à la discrétion de la part de Rex Nijhof, le directeur général nommé au mois de mai. Le Néerlandais travaille pour le groupe Marriott depuis vingt ans. Il a accumulé des expériences aussi bien en Europe (Allemagne, Pays-Bas et Suède) que dans le reste du monde (Mumbai, Istanbul, Kigali ou Lagos). Il a répondu à nos demandes avec un message très calibré et passe-partout, à destination de ceux qui ne connaissent ni l’hôtel ni son histoire. On y apprend que le Luxembourg Marriott Hotel Alfa comptera 153 chambres et suites que la « célèbre Brasserie Alfa, avec les peintures originales de l’artiste luxembourgeois Julien Lefèvre » reprendra du service. L’hôtel sera aussi doté d’une « salle de sport entièrement équipée et de cinq salles de réunion au premier étage ».

Avec cet établissement, Marriott prend pied pour la première fois au Grand-Duché. Le Luxembourg était l’un des rares pays où la multinationale n’était pas représentée comme l’a confié Annabel van Wonderen, porte-parole de l’entreprise au Wort en 2022. Elle ajoute que cela faisait plus de dix ans que la chaîne hôtelière américaine souhaitait s’implanter ici, à la recherche du « bon projet ». Avant l’hôtel Alfa, une autre marque du groupe va faire son apparition : Le Moxy Hotel ouvrira ses portes à la fin du mois d’août au sein du Skypark au Findel. 130 chambres, la plupart avec vue sur la piste et un bar au rooftop spectaculaire sont annoncés. Décrite comme « audacieuse », la marque Moxy a été lancée par le groupe Marriott en 2014 avec l’ouverture d’un premier hôtel à Milan, puis à Londres. Sa communication est axée sur la jeunesse et le « fun » avec « des chambres petites mais bien agencées, des espaces communs dynamiques, animés par des équipes énergiques pour des hôtes en quête de divertissement ». On n’est pas bien sûr que la clientèle du Findel colle à cette description d’une chaîne plutôt habituée aux centres urbains et aux grosses métropoles. Mais aux dires d’un observateur avisé du secteur, « les hôtels proches des aéroports ont un business model différent. Certains calculent la durée moyenne de séjour en heures et non en nuits ».

D’ici la fin 2024, le groupe Marriott ouvrira donc 280 chambres de niveaux et de classifications différentes. Autre projet très en vue et attendu : l’Hôtel des Postes, dans le bâtiment historique de la place Hamilius. D’abord annoncé pour cette année, son ouverture est promise « fin 2025, sauf imprévu », selon Maria-Elysa Galichon, déléguée à la gestion journalière du projet. Entre 80 et 90 chambres sont prévues, ainsi qu’un spa avec piscine, un restaurant, un bar, des boutiques et des espaces de coworking. Post Luxembourg, propriétaire des murs, investit dans cette transformation et reconversion à hauteur de 51pour cent. Le groupe français Artea, coté à Paris, associé à la Caisse des dépôts, apporte les 49 autres pour cent d’une enveloppe annoncée à 50 millions d’euros lors du lancement du projet en 2020. Artea qui combine les activités de promoteur, développeur et investisseur, exploitera l’hôtel via sa marque Storia, toujours située dans des bâtiments historiques comme le Château d’Artigny en Touraine ou le couvent Sant’Orsola à Florence.

Suivant cette approche, Maria-Elysa Galichon parle de « sublimer la valeur culturelle et architecturale de ce bâtiment classé, sans tomber dans le pastiche ». Pour retrouver l’aspect originel de l’édifice dessiné par Sosthène Weis, il a fallu supprimer les structures métalliques qui recouvraient la cour intérieure, ainsi que l’aile centrale qui la sépare. La partie « déconstruction » qui consiste à enlever les éléments récents des guichets et bureaux de la poste cède à présent la place à la création de l’hôtel. Le concept architectural avait été confié à Romain Schmiz, prématurément décédé en 2022. Le projet a été repris par S plus, son ancien bureau, assorti de Manu Schumacher et de Beng. L’architecture intérieure est réalisée par Jean-Philippe Nuel. « Ce bureau parisien spécialisé dans l’hôtellerie a par exemple rénové la Piscine Molitor devenue un hôtel, les Cures marines de Trouville ou les bateaux de la Compagnie du Ponant », nous apprend la responsable du suivi de projet.

Malgré l’avancement des travaux, il reste des inconnues. La classification sera entre quatre et cinq étoiles, « mais nous n’en sommes pas encore à ce niveau de décision ». Rien n’a été décidé quant aux concessions pour les espaces commerciaux, de restauration et de wellness : « On rassemble les propositions tant locales qu’internationales ». Le devenir du rooftop n’est pas non plus déterminé, mais il est sûr que « ce sera ouvert au public ». Insérer l’Hôtel des Postes dans la vie de la ville, de ses habitants et de ses usagers est le leitmotiv dans les explications de Maria-Elysa Galichon. « L’hôtel a une responsabilité vis-à-vis de l’endroit où il se situe. Il ne peut pas être qu’un hôtel, mais doit assumer des fonctions à long terme pour ses clients, pour la ville, pour le quartier, pour les habitants. » Aussi, le rez-de chaussée sera ouvert sur les trois rues voisines – rue de la Poste, place Hamilius et avenue Monterey – pour assurer une circulation « floue et fluide ». La responsable parle d’accessibilité et espère « un bel hôtel mais pas intimidant ».

Notre compte en est à 360 nouvelles chambres annoncées. On peut y additionner les 22 chambres luxueuses de la Villa Pétrusse, située à quelques mètres du Pont Adolphe dans une bâtisse construite en 1880, anciennement connue sous le nom de Villa Baldauff. Le projet architectural, dans le respect de l’existant au style néo-baroque, est confié au bureau Jim Clemes Associates et prévoit en plus des chambres, un restaurant gastronomique, un fitness et l’aménagement des jardins. Repoussée plusieurs fois à cause de complications sur le chantier (notamment la découverte de mérule, un champignon dévastateur), l’ouverture devrait se situer au premier trimestre 2025. Jusqu’en 2017, la villa appartenait à la banque privée Edmond de Rothschild. À cette date, elle été classée Monument national et a été achetée par la Compagnie financière La Luxembourgeoise, qui gère déjà l’hôtel Le Place d’Armes. Aujourd’hui La Lux, s’est associée au fonds d’investissement hôtelier Aina Hospitality. Fondé par l’Andorran Jaume Tapiès, anciennement président des Relais et Châteaux, le fonds compte le Groupe Edmond de Rothschild comme associé fondateur. Un rapprochement qui semble donc couler de source et qui donne à l’assureur les moyens de pousser plus loin la gestion de ses hôtels, ce qui n’était pas son cœur de métier.

Voilà plus de 380 chambres clairement identifiées. On peut y ajouter un important projet qui n’est cependant pas situé dans la capitale, le Gridx de Giorgetti. En bordure d’autoroute, à Wincrange, l’imposant bâtiment de 42 000 m2 sera en grande partie dévolu à l’automobile (concessions, musée), mais annonce aussi un hôtel de 133 chambres, une salle événementielle, un centre commercial, des restaurants et des bureaux. L’ouverture est prévue en juillet 2025. Plus loin de nous et encore peu précis quant aux dates d’ouverture, on parle d’un hôtel trois étoiles de 150 chambres à la Cloche d’Or, exploité par B&B Hotels, dont ce sera la première implantation au Luxembourg. Sur l’avenue de la Liberté, les travaux de l’ancien hôtel Molitor se poursuivent. Entré dans le giron de famille Weidert, connue notamment comme fondatrice et propriétaire du golf Domaine Belenhaff à Junglinster, le bâtiment historique a été entièrement désossé et devrait accueillir une cinquantaine de chambres. Enfin, Codic nous a confirmé qu’un « programme mixte combinant bureaux, hôtellerie et commerces est toujours à l’ordre du jour sur l’ancien site du Comptoir des fers et métaux à la Cloche d’or. »

Actuellement, le territoire de la capitale compte 63 établissements hôteliers. Un chiffre assez stable : de 66 hôtels en 2012, on est descendu à soixante en 2018 pour remonter depuis. Le nombre de chambres a bien plus augmenté, passant de 3 471 en 2012 à 3 690 en 2023. Avec les nouvelles ouvertures, on arrivera donc à plus de 4 000 chambres dans les 18 prochains mois. « C’est beaucoup alors la demande est encore assez fluctuante », estime un observateur. Il s’inquiète en particulier pour les week-ends et les périodes creuses que sont les mois d’hiver.
« Les taux d’occupations sont revenus au niveau de 2019. C’est satisfaisant et comparable avec d’autres villes européennes. C’est sans doute la raison pour laquelle certains fonds préfèrent investir dans ce secteur plutôt que dans les bureaux », note Marie-Laure Goeres. Elle reprend les rênes de son père à la tête du groupe familial qui compte cinq hôtels dans la capitale. Dans le même élan, chez Luxembourg for Tourism, on se veut rassurant. « Sur l’année 2023 entière, le taux d’occupation était de 71,4 pour cent, mais avec des variations mensuelles importantes. Certains mois avoisinent voire dépassent les 80 pour cent en raison d’effets cumulés de demande loisirs et affaires sur ces périodes. Il y a donc la place pour de nouveaux établissement », estime son CEO, Sebatian Reddeker. Les professionnels du tourisme estiment que les niveaux d’avant Covid peuvent être dépassés. « Nos enquêtes montrent un grand potentiel de croissance du tourisme de loisir avec de nombreuses personnes dans les pays voisins qui manifestent un intérêt pour le Luxembourg », poursuit le CEO. Il entend orienter la communication autour des basses saisons en focalisant les messages sur l’offre culturelle et événementielle de la capitale. « Le tourisme urbain, et les city trips sont un segment en pleine croissance ». Il observe aussi la croissance des locations à court terme du type AirBnB qui, avec plus de mille propositions dans le pays, a gagné deux cents établissements ou chambres en trois ans. « Cela confirme un besoin de chambres supplémentaires et donc aussi des projets hôteliers. »

De son côté, le ministère de l’Économie veut croire au retour du tourisme d’affaires et de congrès. « Luxembourg a des atouts indéniables par son côté compact où hôtels, centres de conférences, halls de foire et espaces de loisir sont très proches et bien connectés », détaille Rachel Negri, en charge du tourisme d’affaires, des événements et salons nationaux au ministère. Elle estime que l’offre « bleasure » (contraction entre business et leasure) connaît de plus en plus de succès, la proximité de la nature, l’offre gastronomique ou la gratuité des transports étant les meilleurs atouts pour attirer team building, conférences ciblées, événements incentives et autres réunion internationales.

Alain Rix, le président de l’Horesca calcule que beaucoup de ces projets ont été lancés avant le Covid et avec des estimations de rentabilité et de potentiel qui ne sont pas forcément encore d’actualité. « L’ouverture de nouveaux établissements est une bonne chose qui montre le dynamisme du Luxembourg. Mais pour les vendre, il va falloir que le secteur MICE (meeting, incentive, conference, event, ndlr) se développe et attire des séjours plus long et des groupes plus importants. » Cela dit, un hôtelier prévient : « des grands groupes qui négocient les tarifs risquent de remplir les hôtels et de prendre la place de clients qui payent plein tarif ». Tous deux sont aussi préoccupés par le recrutement de la main d’œuvre. « Le secteur cherche 600 personnes… Je ne sais pas où on va les trouver, même si dans l’hôtellerie, les perspectives d’évolution de carrière sont intéressantes », martèle Rix.

Tous nos interlocuteurs soulignent que la grande force des nouveaux arrivants sera la diversité. « Les enseignes internationales comme Marriott vont drainer une clientèle qui leur est propre et qui les suit », suppose Sebastian Reddeker. « Les nouveaux projets en ville ne visent pas la même clientèle que dans les Business Center, ni la même que les boutique hôtels de famille », constate Marie-Laure Goeres. Elle vient d’ouvrir The Rose dans une maison centenaire de Belair et séduit une clientèle nouvelle qui cherche « une ambiance luxembourgeoise ». Dans le même ordre d’idée, le traiteur Kaempff-Kohler projette un boutique hôtel de douze chambres au dessus de son magasin à la rue du Curé. « Il y a toujours une clientèle pour des beaux hôtels dans des bons emplacements », estime Guill Kaempff. Les travaux commenceront en septembre et il espère une ouverture fin 2025.

C’est pour les hôtels existants que la concurrence nouvelle sera plus dure à encaisser. « Il va falloir investir, tenir le niveau, communiquer, monter en gamme pour certains », termine Alain Rix tout en sachant que les établissements familiaux ont du mal à trouver les financements pour progresser ou maintenir le cap face aux groupes mondiaux.

France Clarinval
© 2024 d’Lëtzebuerger Land