Il y a, semble-t-il, un monument de la culture luxembourgeoise que les familles ne ratent jamais depuis vingt ans... Une personne qui perce le glacé froid des conventions de ce petit pays; un artiste qui parle; un humoriste qui fait sincèrement rire... dans un pays d'inertie économique et dans la torpeur des désirs de bons gras de Faste Prospérité. Dans ce pays qui a davantage besoin qu'ailleurs de réflexion et d'une épistémologie de la croissance et du nouvel ordre mondial, lorsque les traditions vivantes ont sans transition été accompagnées du progrès galopant, à l'heure où le Luxembourg s'affiche pro-américain et où les États-Unis préparent une nouvelle guerre du pétrole afin d'en faire baisser le prix et ainsi de tenter de relancer la croissance en Amérique, en fin de compte de tuer des peuples étrangers aux fortunes et aux projets de leur émirs, dirigeants, il est tout à fait utile, même nécessaire que cette personne prenne la parole, que cette personne existe.
Le nouveau spectacle de Jemp Schuster, Ass eppes? faisant, comme chaque année, l'ouverture de la saison au Théâtre du Centaure, semble être son moyen à lui de glisser ses mots de regrets, pour rire de ses reproches, pour s'autoriser à dire les choses avec l'amabilité d'avoir fait rire. Il est évident que le spectacle est un prétexte pour aborder ces sujets qui traînent sous la paresse de la pensée et que les spectateurs, c'est-à-dire dans l'actualité (un peu au regret de l'artiste), vont voir pour rire et passer une soirée plus ou moins insouciante.
Il souffre d'une amertume de se battre depuis des années pour exister dans un métier qui réclame un grand public fidèle et du besoin d'élever le métier au dessus de la simple règle de faire rire.
Ainsi, cet homme à la voix grave et suave fait rire son drôle de personnage de retraité entretenant sa maison et son jardin dans sa petite commune (du nord) dépérissant peu à peu, mais le public quitte la salle au bout d'une heure et demie et Jemp Schuster demeure vidé, faisant preuve d'une fatigue lascive face au monde, à la folie chronique et ses erreurs perpétuelles. Mais tout ceci loin de la pédanterie des mots: Jemp est bel et bien un écorché vif, qui communique à sa manière, c'est-à-dire par la provocation et par le rire. Il communique tous les thèmes auxquels lui-même réagit, mais attention, ces réactions ne sont nullement transmises à chaud. Jemp Schuster est véritablement un artisan du mot et des ponctuations bien placées.
Comment travaille cet homme, connu par tous ceux et toutes celles qui s'intéressent à leur petit Grand-Duché et qui maîtrisent la langue luxembourgeoise? Il confie que parfois, après sa tournée estivale, il s'enferme durant un long mois et fignole ses textes, réfléchit longuement sur les faits d'actualité nationale et internationale, il s'accole aux médias, épluche la presse et effectue des recoupements: «dans mon métier je n'ai pas du tout envie de donner des solutions ou d'imposer une pensée, un point de vue. Je ne souhaite même pas transmettre de message, je ne veux pas non plus m'attaquer aux personnes (malgré ce qu'on pourrait croire quant à ces pauvres hommes politiques qui y passent presque tous, gentiment les uns après les autres, et alors: ass eppes? c'est comme ça quand on est une personnalité politique, la focalisation sur les conneries se fait plus facilement), malgré la forme d'expression artistique que j'ai choisie, qui à priori peut être estimée légère, je dois travailler dur et être rigoureux. À cela s'ajoute le renouvellement et la distanciation à l'aide d'un personnage proche des spectateurs et le plus authentique et crédible possible.»
Jemp Schuster manie la verve comme nulle autre personne à Luxembourg, il projette son public dans une forme théâtrale tirée du XVIe siècle: les pamphlets. Et chapeau!, il le fait bien, même très bien, on se bidonne, mais entre chaque spasme rectal, on peut se poser une multitude de questions à propos du Luxembourg, de sa société et de ses rapports à l'Europe et au monde.
Le spectacle Ass eppes? de Jemp Schuster est produit par son asbl. Kabarä et sera encore joué ce soir et demain ainsi que les 15, 16, 17, 18, 19, 22, 23 et 24 octobre au Théâtre du Centaure Am Dierfgen, 4, Grand-Rue, Luxembourg ; pour réservations et renseignements: téléphone 22 28 28 ou consulter le site Internet www.jempschuster.lu.