Depuis plus de trois décennies, Love letters est joué partout dans le monde, dans une trentaine de langues mais tout spécialement au Luxembourg depuis début 2016. En effet, après avoir occupé en salle comble le Théâtre municipal d’Esch-sur-Alzette le 11 janvier dernier avec l’omniprésent duo français Huster-Reali, la pièce américaine est à l’affiche plus intimiste du Théâtre ouvert de Luxembourg jusqu’au 12 février. Une adaptation fraîche et bien portée qui libère l’esprit en début de soirée, mais pas que...
On va assister à Love letters comme on ouvre un Marc Levy au bord d’une piscine en été : avec un sentiment de plaisir coupable et la peur presque excitante d’être découvert par les amateurs de culture plus puristes de notre entourage. Le scénario résonne en effet d’un air de déjà-entendu : Melissa et Andy se sont aimés toute leur vie, mais séparés par les épreuves, ils n’ont entretenu cet amour qu’à travers leurs lettres... La légèreté semble de mise et ce n’est pas la première minute de la production du Tol, rythmée en clin d’œil par le tube Andy des Rita Mitsouko et les déhanchés de Véronique Fauconnet, qui invite à penser le contraire. Mais c’est alors que l’ambiance feutrée du théâtre et la mise en scène à la fois puriste et pêchue de Marion Poppenborg vont peu à peu surprendre le spectateur et donner quelques lettres de noblesse au texte d’Albert Ramsdell Gurney. D’autant que le jeu de Frédéric Frenay, qui incarne au début de la pièce un jeune Andy plutôt placide et renfermé, voire médiocre, va peu à peu gagner en intensité, en nuances et en émotion, passant de l’amour épistolaire le plus pur au cynisme condescendant et dégoûtant d’un sénateur quadra en manque d’adrénaline, et sublimer ces échanges avec une Melissa plus constante dans son attitude de bourgeoise rebelle et écorchée que tout agace, que tout bouleverse.
Dans le cadre exigu des trois murs de la scène du Tol recouverts d’hypothétiques années de correspondance, les deux personnages expriment tour à tour, en même temps ou parfois sans un mot la tendresse, la passion, la jalousie, l’admiration et le dégoût qu’ils ressentent l’un pour l’autre sans jamais croiser le regard, sans – presque – jamais se toucher. L’apparente frivolité de cette histoire d’un temps pas si lointain finit par nous renvoyer à nos souvenirs les plus attachants autant qu’à nos douces mélancolies. Les amoureux, nombreux en proportion dans la salle, se laissent ainsi tous avoir par ce duo aussi attachant qu’exaspérant et il n’en est un ou une qui n’a pas un discret geste tendre pour sa moitié...
Une autre profondeur plus inattendue de Love letters est son intérêt plus sociologique. Gurney est en effet connu pour avoir dépeint avec fidélité les Wasp – les White Anglo-Saxon Protestants – de bonne famille et leurs angoisses ; or c’est un couple clairement issu de ce milieu socioculturel qui s’ébat par timbre interposé sur la scène du Tol. Dans une autre de ses pièces emblématiques, The Cocktail Hour, qui dépeint les faux tracas d’une riche famille de la côte Est américaine dans les années 70, l’auteur fait dire à son rôle principal : « Ils ne nous aiment pas, ils pensent que nous sommes tous républicains, tous superficiels et tous alcooliques. Seul ce dernier point est exact. ». Une phrase qui aurait pu sortir de la bouche de Melissa à chaque instant.
Au final, la combinaison du jeu des acteurs, la mise en scène voulue et rendue plus audacieuse que prévue initialement suite a la programmation peu idoine du Théâtre d’Esch et la fausse superficialité du texte de Love letters tiennent la promesse d’un bon moment à passer tout en donnant un petit plus de réflexion à la matière grise du spectateur... Le Tol envoie gentiment Levy au tapis.