Pas un déjeuner en ville, pas un dîner en famille, pas une rencontre entre potes ne se termine sans qu’à un moment ou un autre quelqu’un demande : « Alors, Comeback ? ». La nouvelle sitcom diffusée sur RTL Tele Lëtzebuerg depuis fin septembre polarise : beaucoup de jeunes adorent, autant de parents s’inquiètent du mode de vie déstructuré de ces jeunes adultes, héros de la série (aujourd’hui, même des images de la consommation d’alcool semblent socialement répréhensibles), ils sont nombreux à réagir lors des projections publiques le vendredi soir à la Bouneweger Stuff, quartier général de la série, ou sur les réseaux sociaux.
RTL a donc déjà gagné son pari : un programme de télévision qui devient un sujet de discussion publique, c’est une inversion de la tendance générale, partout en Europe, qui fait que le médium des années 1980-1990 tombe en désuétude. Même si beaucoup de spectateurs regardent Comeback, comme Weemseesdet l’année dernière, sur internet à la demande (où un épisode n’est pourtant disponible que durant une semaine), l’essentiel est qu’ils le regardent (et subsidiairement, voient les publicités des annonceurs, qui contribuent à son financement).
Pour la chaîne privée qui a une mission de service public, investir dans la fiction n’est pas une tradition historique – à part de courtes incursions avec les équipes techniques du groupe, comme Déi zwéi vum Bierg (Menn Bodson, Marc Olinger et Gast Rollinger, 1985), sur la deuxième guerre mondiale et diffusé en six épisodes. Quand Alain Berwick, le directeur des programmes luxembourgeois de RTL Group, et Steve Schmit, le station manager de la chaîne, se sont donc dits prêts à suivre le ministre des médias François Biltgen (CSV) et le Film Fund dans leur projet d’essayer de produire la première sitcom luxembourgeoise avec le lancement d’un concours d’idées, fin 2010, ce fut donc vraiment une innovation. RTL y met même de l’argent, 500 000 euros, auxquels s’ajoute le million d’euros d’investissement direct du Film Fund (voir aussi d’Land du 20 avril 2012).
On dirait une ruche À la Bouneweger Stuff, qui est fermée pour les clients, comme tous les lundis, ça bosse dans tous les coins, on dirait une ruche. Au rez-de-chaussée, l’équipe de tournage – très légère : une seule caméra à l’épaule, un ingénieur du son et un perchiste, les lumières, le maquillage, le réalisateur, le scénariste et quelques assistants encadrent les trois acteurs principaux – enregistre les scènes qui se jouent au bar dans ce dixième épisode tourné cette semaine. Ils ont une journée pour les terminer, car le mardi, ils déménagent dans l’appartement se trouvant à l’étage, qui héberge aussi la salle de montage et où travaillent les scénaristes et les équipes qui préparent l’épisode de la semaine suivante. Les chambres des héros de la série, trois garçons et une fille qui habitent en communauté, sont réelles, on pourrait y dormir de suite, tout comme la cuisine ou le salon. Au deuxième étage, qui est en même temps le grenier, ont été construits quelques éléments du décor, comme la salle de bain qu’on voit dans la série, ou le tipi de la mère. Cet étage héberge également les loges des acteurs. La troisième journée, le mercredi en règle générale, l’équipe tourne en extérieur, toujours dans des décors réels, ce qui permet de garder les frais très bas. L’épisode sera monté jusqu’au vendredi qui précède sa diffusion. Chaque épisode est donc écrit dans l’actualité, ce qui permet aux scénaristes de réagir à des faits de société, comme le mariage princier, « mais nous ne sommes pas une satire politique, il n’y aura pas de répercussions du dossier Cargolux chez nous, » insiste Bernard Michaux.
Le facteur travail Si l’ambition de Bernard Michaux, l’initiateur et producteur de Comeback, fut d’essayer un nouveau format et de faire travailler un maximum de professionnels, son travail quotidien consiste aujourd’hui surtout à faire respecter au centime près les budgets serrés et à la seconde près le calendrier. Filmer 35 pages de scénario en trois jours, réaliser douze minutes d’images utilisables par jour, c’est de la folie pour une équipe qui est surtout habituée à faire des films de cinéma, où un long-métrage de fiction se tourne sans sourciller en huit, dix, voire douze semaines. « Les conditions de travail ici sont très dures, constate aussi le réalisateur Christophe Wagner, dont le policier Doudege Wénkel fait un carton en ce moment au cinéma. Et je sais que chacun de nous pourrait faire mieux avec plus de temps et plus de moyens. Mais c’est super de pouvoir travailler avec des gens qu’on connaît bien. » Et de travailler tout court entre deux films, qui prennent parfois deux à trois ans de développement avant de se concrétiser. Christophe Wagner est, à côté de gens comme Beryl Koltz, Govinda van Maele ou Jacques Molitor, un de la dizaine de jeunes réalisateurs qui profitent de l’occasion de Comeback pour bosser et se faire la main.
« Une autoroute d’expériences » est le terme choisi par Frédéric Zeimet pour décrire l’opportunité qu’il voit dans Comeback. Scénariste, il est l’homme des mots : le headwriter de la sitcom, en a eu l’idée avec Bernard Michaux et inventé de plot principal – trois amis veulent envoyer un chanteur pop déglingué des années 1990 à l’Eurovision –, développé ensuite avec toute une équipe composée en outre de Kim Schneider, Thierry Faber et Eric Lamhène. Car si, au-delà de celles du budget et du format, RTL posait des conditions, elles étaient limitées : il fallait que cela s’adresse à un public jeune, profil Eldoradio, que ce soit divertissant et en luxembourgeois. Pour la chaîne de télévision, il s’agit clairement de rajeunir son audience, de se rapprocher de ceux qui ont grandi avec Planet RTL, regardent le Ben’s Club et passent leurs journées à consulter Facebook sur leur téléphone portable.
Une des idées phares de l’équipe de Comeback, une de leurs idées brillantes aussi, fut de dépasser le seul cadre de la télévision et de miser sur le crossmedia : bien en amont de la diffusion du premier épisode, un clip vidéo circula l’été dernier sur les réseaux sociaux. Un chanteur répondant aux critères de véritable beau type George Michael période Wham !, jean serré et crinière blonde au vent portant le joli nom de Ronny Riff chanta « Stell elo keng Fro ! » (ne pose pas de questions maintenant) dans les couloirs de l’Athenée. Les « j’aime » et « partage » s’accumulaient, seuls les plus sceptiques avaient vérifié chez Luke Haas que ce personnage n’a jamais existé. En plus, l’histoire de Comeback fut gardée secrète jusqu’à la veille de la première diffusion, faisant monter le buzz jusqu’au jour J. Dès 19h30, l’équipe demanda au public de réagir, en live à la Bouneweger Stuff ou sur les réseaux sociaux, promettant même de prendre en compte les remarques les plus pertinentes pour le développement de l’histoire. Si l’expérience est novatrice, elle comporte aussi des risques, comme ces critiques souvent virulentes de la part de spectateurs, difficiles à encaisser pour, par exemple, de jeunes acteurs qui débutent ici dans les rôles principaux (Julie Kieffer, Konstantin Rommelfangen, Tommy Schlesser et Al Ginter, le seul avec de l’expérience).
Le sas de la vie Or, davantage que sur son format ou sa forme (tournage guérilla en caméra à l’épaule, montage rapide, beaucoup de flashbacks,...), Comeback est véritablement révolutionnaire dans le choix de son thème et de ses personnages principaux. On s’est enfin libéré de l’histoire et de la deuxième guerre mondiale, pour raconter simplement la vie de jeunes adultes – leur vie ! –, ce sas difficile à vivre entre la fin du lycée et la vie professionnelle. Sophie, Pit et Jacques cherchent l’amour, forcément, mais aussi un sens à leur vie, un avenir professionnel : faut-il forcément devenir banquier ou fonctionnaire au Luxembourg ou peut-on vivre plus librement pour être heureux ? Avec une mère baba-cool qui leur laisse toutes les libertés du monde et visiblement peu de soucis matériels, ils cherchent une occupation à leurs journées, qui sont baignées de musique pop, de frustrations et d’aventures imprévisibles. Alors parfois, c’est régressif (une petite fixation sur les peluches et les jouets de leur enfance), parfois c’est un peu vulgaire (comme dans la vraie vie), ils boivent beaucoup (même la fille, ce qui choque beaucoup), et l’humour n’est pas toujours très subtil. Mais c’est une sitcom, il y a bien « comedy » dans le mot, et, contrairement à Weemseesdet, Comeback ne cherche pas à éduquer son public. C’est un divertissement et il faut le prendre comme tel, qui s’adresse à un public-cible bien défini qui s’y identifie – ce qui est aussi un pas énorme sur une chaîne qui voulait jusqu’ici toujours s’adresser au grand public. Une enquête d’audience vient d’être effectuée, les résultats auront certainement une incidence sur l’avenir de la fiction à la télévision.
Michèle Sinner
Catégories: Télécoms, Télévisions
Édition: 03.08.2012