Si l’avenue de la Liberté a été primée pour être la deuxième meilleure rue de shopping dans le monde1, c’est probablement aussi grâce à eux. Eux, c’est un attelage un peu disparate au tout premier regard : l’une au carré brun sur une blouse rose fuchsia, le visage comme ciselé et regard joueur aux reflets dorés du fard à paupières, l’autre presque effacé dans son pull noir et regard toujours un peu effrayé, n’y aurait-il pas le grand trou dans son oreille droite et la ceinture fleurie au milieu du noir. Pepper et Ben sont les fiers propriétaires de la boutique homonyme installée dans le lieu qu’occupait jadis le Books and Beans, non loin du siège de ArcelorMittal. Pepper, de son vrai nom Karolina Szatna, est d’origine polonaise, diplômée en Beaux-Arts et produits textiles et bientôt en photographie créative. Ben, Benoît Schmit, est le fils prodigue que la crise financière a fait rentrer de Brighton, où il a étudié et travaillé dans une boîte de design graphique, avec Karolina dans son bagage qui ne connaissait le Luxembourg que les fins de semaine. Lundi, ils ont fêté le premier anniversaire de leur bébé Ben&Pepper, magasin d’ameublement et de décoration, dans un espace spacieux rempli d’une foultitude d’objets colorés, anciens ou neufs, plus ou moins utiles, toujours nimbés d’un petit charme spécial, l’empreinte du souffle du couple gémellaire.
« Nous faisons partie de ce changement qui a lieu au Luxembourg », devise Pepper. « Nous sommes plus qu’un concept store : nous vendons ce que nous aimons, mais proposons également des services innovants ». Exemple, la chasse au trésor, gros succès auprès du public : « Quand un client nous amène une photo d’un meuble, d’un tissu, d’une tapisserie coup de cœur, nous trouvons pour lui ». Comme l’armoire à chaussures originale années 1950 qu’ils viennent de dégoter auprès d’un de leurs fournisseurs. Ils ont établi des réseaux à travers toute l’Europe pour dénicher objets insolites et antiquités. « J’aime ce qui a vécu, ce qui a une âme, une histoire », lance Ben.
Ce qui fait la remarquable particularité de Ben&Pepper est aussi d’avoir tissé des liens fructueux avec nombre de créateurs du pays. « Il n’y a pas vraiment de plate-forme pour les designers de la place, alors que la création pullule et qu’il y a des évolutions extrêmement intéressantes ». D’où leurs partenariats avec des gens comme Linda Bos, tête derrière le label Pretty Forest, pour des posters surprenants de la capitale, ou avec Marie Petersen pour ses tabliers portant les lettres de symboles luxembourgeois, Bouneschlupp et acolytes. Un des hits, les photographies expérimentales de Pepper elle-même : « Je scanne le néant », explique-t-elle, et avec un regard coquin vers Ben avec qui elle est en compétition pour ses illustrations, « mes photos se vendent très bien ».
Ben et Pepper ont loué ce beau lieu il y a presque deux ans, contre le conseil de tout le monde et de leur banque. « Tous ont dit que c’était trop risqué. Mais nous n’avions pas de doutes, je suis immédiatement tombé amoureux de cet espace, de son haut plafond. En plus, nous avons sauvé l’endroit du sort d’être transformé en un kebab… », se souvient Ben. Pepper a mis un peu de temps et surtout a eu une controverse avec son chéri avant d’être d’accord, mais tel est leur modus vivendi. « Nous nous chamaillons souvent au sujet des objets que nous achetons ou pas », lance Pepper. Comme le téléphone en forme de canard, qu’elle a relégué au fond de la boutique malgré la passion amoureuse qu’a développée Ben envers le gadget. Il court le chercher, plein d’élan, pour faire la fière démonstration qu’il fonctionne, mais : « Il n’a pas le droit de l’utiliser », remarque Pepper, « et si je trouve le bon client, je le vendrai ! ».
Ce qu’ils aiment tous les deux, c’est visiter des maisons pour proposer une décoration à l’image de leur client. « En fait, nous encourageons sa propre imagination. Pour cela, nous essayons peu à peu de cerner le style de la personne. C’est un peu comme une consultation psychologique… ». « Une des choses les plus dures, hormis le fait que la boutique nous empêche de bourlinguer dans le monde est de nous séparer de nos favoris », dit Ben en jetant un regard discret vers le fauteuil jaune pour lequel il n’y a plus de place dans leur cuisine. « Mais c’est aussi très beau de voir les yeux des gens briller quand ils emmènent leur nouvelle acquisition », relativise Pepper. « Tout ce que nous pouvons faire est de recommander à la pièce de bien se comporter dans son nouveau chez-elle… » Accrochée à sa tasse de thé, Breakfast at Tiffany’s reloaded, nous lui achèterions bien le téléphone canard.
« Time is precious, waste it wisely », est marqué sur le tableau devant la boutique. On peut dire la même chose pour l’argent…ici, c’est sans regrets.
Cyril B.
Catégories: Stil
Édition: 07.09.2012