Décor zéro. Impossible d'échapper à son personnage. Stephen l'énigmatique, Dolan le rusé, Arnall l'éternel perdant, Molly l'apparemment légère sont là avec pour seuls atouts leur corps et leur voix. Mais Fleming est déjà là avant les autres, avant même le lever de rideau. Il poireaute pour être le premier dans la queue qui ne tardera pas à se former. Dans quel but ? Jusqu' à la fin inclusivement, nul ne le saura, pas plus Fleming que ses concurrents ou les spectateurs.
Peu importe ce but. La vie n'est-elle pas ainsi faite que tôt ou tard, nombre de nos ambitions les plus palpables s'avèrent dérisoires ? Mais être premier, ça attire toujours. Inculqué dès l'école, à moins qu'on ait eu la chance de fréquenter un établissement du type Walldorf, le principe de la première place n'envahit-il pas rapidement tous les domaines de la vie quotidienne ?
Philippe Noesen a opté pour une mise en scène dépouillée et rythmée qui fait bien ressortir l'inanité de cette course à la première place. (Une seule ombre au tableau : pourquoi n'a-t-il pas corrigé l'emploi fautif de « second » de la traduction française - adaptation : Claude Roy -, erreur de surcroît récurrente dans la pièce? ?) Jamais, le noir de l'arrière-fond aidant, la petite scène du TOL n'a semblé aussi grande, grâce à cette mise en scène dépouillée se passant de toutes extravagances faciles.
Si Philippe Noesen, dans le supplément Theater du mois d'octobre, a déclaré avoir enfin trouvé la distribution idéale pour cette pièce, on le croit aisément, même si ce genre de déclaration peut sembler rabâché. La surprise la plus agréable est incontestablement Pierre Rauchs, surtout dans la première partie qui fait le mieux ressortir son personnage impénétrable malgré une loquacité marquée. Rauchs se meut si naturellement sur scène qu'on pourrait l'y croire né.
Deuxième belle surprise : Jacques Paquer, à mille lieues du beauf tonitruant habituel, qui campe un Arnall touchant. Si touchant que tout spectateur lucide qu'on soit, on aimerait croire comme lui à sa petite « philosophie » personnelle qui exclut les déceptions de la vie - même si elle ne fonctionne pas, même si plus que les autres, Arnall veut devenir premier rien que pour se prouver à lui-même qu'il n'est pas si médiocre que cela. La diction de Véronique Fauconnet elle aussi est moins provocatrice - à croire qu'avec ces deux acteurs, Philippe Noesen aurait entrepris un sérieux travail vocal.
La Molly de Fauconnet a beau être considérée par son mari Arnall comme une « personne d'une seule pièce tout à fait salope », elle n'est jamais vulgaire, plus, montre de façon convaincante qu'en réalité elle mène en bateau ces énergumènes auxquels apparemment elle se donne si facilement. Comme s'ils avaient besoin de se déniaiser tel l'antihéros de Brel dans Au suivant, ces hommes sont en effet si friands de chair féminine que par moments ils en oublient la queue, l'autre.
Ambitions non fondées, appétit sexuel mal caché, Le Premier d'Israël Horovitz est le miroir de cela et plus encore celui du manque de repères sérieux et vivables dans une société pour laquelle être le premier devant une... caisse de supermarché peut représenter une joie à ne pas négliger.