Peanuts

Les indignés du monde

d'Lëtzebuerger Land du 21.10.2011

« Donc, j’ai un problème, j’ai une responsabilité... et tout le monde... s’en fout ». Cette déclaration désespérée de Buddy (Pitt Simon), protagoniste et avatar de Charlie Brown, résume l’atmosphère sinistre qui règne dans Peanuts, pièce écrite par Fausto Paravidino (né en 1976 à Gênes), préoccupé par l’illustration des rapports de pouvoir et de responsabilité entre les individus. Peanuts est une fiction militante qui s’inspire des répressions policières qu’ont dû subir les manifestants altermondialistes lors du sommet G8 à Gênes en juillet 2001. Durant ces émeutes, un jeune activiste est fusillé par un policier, puis écrasé par sa voiture. Cet acte inhumain fait appel à la révolte contre une époque contemporaine qui entretient une culture oppressive et injuste.

Par une dramaturgie ingénieuse mélangeant tragique et comique, l’auteur exprime sa rage et mobilise des sentiments de dégoût face aux incohérences politiques, économiques et sociales. La pièce s’ouvre dans le comique pour basculer doucement dans une atmosphère violente, puis finit à nouveau dans l’ambiance ludique. Cette structure narrative cyclique permet aux spectateurs de s’interroger avec recul sur les événements vécus durant ces deux heures de spectacle.

Les personnages et le découpage de la pièce en séquences courtes s’inspirent de la célèbre bande dessinée Peanuts de Charles M. Schulz. C’est une excellente idée d’aller vers un engagement social et politique à travers des caractères fictifs conçus comme puériles et anodins. Dans cette invention maligne réside toute l’ironie tragique du scénario : chaque personnage a ses particularités et ses obsessions et vit dans un milieu social qui peut prédestiner un adolescent innocent à se transformer en adulte sadique affamé de pouvoir.

Par une mise en scène humble aux Ateliers du TNL, la jeune Luxem[-]bour[-]geoise Jill Christophe a réussi de manière remarquable à rester fidèle à l’atmosphère grave de la tragicomédie de Fausto Paradivino. Dans la première partie, Buddy a la charge de garder un appartement de luxe appartenant à une famille pour laquelle il travaille comme serveur. L’appartement est seulement représenté par un téléphone, un canapé et une télécommande surdimensionnés ainsi que par une télévision imaginaire qui font une première allusion aux inégalités sociales et la société de consommation. Très vite, quelques soi-disant amis viennent s’incruster sans que Buddy n’ait la force de s’affirmer pour les mettre dehors. L’appartement va subir de nombreuses dégradations qui plongent Buddy dans un état désespéré et impuissant.

Chaque séquence porte un titre politique ironique affiché sur le mur du fond. Ainsi, la scène « Globalisation et mondialisation » est illustrée par une discussion entre amis qui devra résoudre le problème de savoir combien se cotiser pour l’achat de Coca Cola. À travers des réflexions enfantines et naïves, le spectateur devient témoin d’une dynamique de groupe qui opprime les plus faibles, cédant sur leurs envies face à ceux qui s’imposent comme leaders. C’est après la séquence qui traite du retour inattendu du fils des propriétaires que la pièce bascule dans le tragique au sens pur.

Nous nous retrouvons désormais dans une prison dix ans plus tard avec les mêmes personnages. Les uns sont devenus gendarmes, les autres prisonniers. L’audience est emballée dans un décor lugubre et prise par une musique brutale interrompue par moments par des séquences de vrais témoignages d’activistes ou par des cris horribles qui envahissent l’espace. Ce mélange de la fiction au réel crée un effet étourdissant au sein du public, qui a l’impression d’être impliqué dans le scénario. La proximité entre acteurs et spectateurs est renforcée par la construction de la salle aux Ateliers du TNL, un lieu parfait pour cette représentation. Assistant à des scènes de tortures physiques et psychologiques, rappelant les scandales de la prison irakienne d’Abu Ghraib ou bien les conséquences tragiques de l’expérience de Stanford, le spectateur est délibérément confronté aux violations des droits de l’homme face auxquelles nous préférons tous fermer les yeux. La pièce s’achève sur le retour dans l’appartement et la phrase finale de Buddy : « comment cela pourrait-il se passer autrement » ?

Peanuts est une pièce qui secoue le public et le force à réfléchir sur le déroulement de notre société qui déraille ; une pièce à ne pas rater pour ceux qui ont les nerfs bien solides.

Peanuts de Fausto Paravidino, mise en scène par Jill Christophe, dramaturgie : Linda Bonvini ; musique et assistanat : Tom Dockal ; scénographie : Kim Clement ; costumes : Denise Schumann ; avec : Jenny Beacraft, Fabrice Bernard, Frédérique Colling, Sofia Lopes, Elsa Rauchs, Konstantin Rommelfangen, Jacques Schiltz, Frederik Schlechter, Raoul Schlechter, Pitt Simon et Claire Thill ; une coproduction entre Independent Little Lies, le Théâtre national du Luxembourg et le Théâtre d’Esch ; reprise le 28 mars 2012 au Théâtre d’Esch ; plus d’informations sous www.ill.lu.
Lynn Scorpione
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