« ...Illi qui lucem retinent, ut agates - illi qui lactem retinent, ut mamilla... Ceux qui retiennent la lumière, comme par exemple l'agate - ceux qui retiennent le lait, comme par exemple la mamelle. » Une nymphe arrive sur scène surprenant le public, qui bavarde encore. La pièce démarre sans préambule.
On parle parfois en morse, en algèbre, on communique par signes ou par le biais de pancartes. Peu importe la forme, Valère Novarina explore l'Origine rouge, c'est-à-dire le langage dans sa profondeur, qui vit, meurt, souffre et « file dans l'air, en ruban ». L'auteur et metteur en scène étonne avec sa sixième pièce1 et ses personnages aux noms symboliques - l'Anthropoclaste, le Bonhomme Nihil, le Contre sujet, l'Enfant Circonflexe - qui tentent de saisir leur animalité et leur pensée.
« Qu'est-ce que l'homme » se demande Valère Novarina dans L'Origine rouge en mettant sur scène des pantins sans psychologie qui titillent le spectateur, l'emmenant dans une autre réalité, un Umonde où chacun interroge son animalité : « Demandons à l'estomac s'il digère ce que notre bouche ingurgite... »
Mais c'est aussi un théâtre qui questionne le théâtre et les acteurs, et renie la part de vérité sur scène. Du théâtre hors du commun, insondable, qui pousse le questionnement sur l'homme à l'extrême. Dangereux et déroutant, car le doute persiste, mais somptueux, servi par une troupe fabuleuse. Tout ce petit monde désincarné évolue dans un décor de toiles peintes par l'auteur. Place est laissée à l'abstraction, permettant ainsi d'imaginer tous les lieux possibles, retirant parfois l'espace, questionnant le temps et promettant des tempêtes pronominales. Tout passe par les mots, comme si le langage était acteur dans une étrange chorégraphie insolite et fantasque.
Le réel n'existe pas sur le plateau, l'acteur a laissé son visage d'homme au vestiaire et son esprit au dessus de sa tête pour être « Pinocchio à l'envers ». Malgré cela le réel est représenté par les Machines à dire Voici qui viendront « à l'improviste » nous dire ce qu'il faut en penser. Interprétées par Dominique Parent et Didier Dugast, en hommes de télévision, elles nous parlent d'explosions, de raids et se demandent « comment faire pour qu'encore d'avantage le réel pullule ». Elles repartent en tournoyant avec leur immense plateau autour de la taille, comme des ballerines. Parfois ce sont les Hommes d'Hécatombe qui passent en courant... Comme dans un ballet chacun fait bouger son corps, chante, déambule, déchaîne cascades de duos ou tirades solitaires.
Le spectateur reste sans voix devant cet « archipel d'actes », riant parfois, ébloui du début à la fin. Car les mots volent, s'envolent, décortiqués par cette troupe magistrale.
Dominique Pinon sublime en Jean Terrier se prend au jeu de son personnage. Pour sa deuxième collaboration 2 avec Valère Novarina, l'acteur fétiche de Jeunet porte un rôle sur mesure, cousu point par point, mot à mot pour lui. Ses mimiques collent au pantin qui déclare son amour en formule mathématique. Culottes courtes, grandes chaussettes, il est l'éternel gamin qui se rappelle « Quand j'étais petit, j'ai vécu dans un pays où il y avait beaucoup de lieux qui se nommaient Ici ou Là ou l'Endroit ou Par là-bas. »
À coups de rires, de mots ou de silences, les personnages tentent de « s'insoumettre à l'image humaine ». On frôle le drame, car questionner le langage de façon organique est dangereux : « les jeux de mots sont des jeux de sang et un peu partout dans le monde, on meurt par glissement de mots ». Mais tout est charme et magie. Les pantins, ou seraient-ce les acteurs, dansent, chantent parfois sur un air d'accordéon... Et longtemps après, L'Origine rouge laisse un petit mot dans la tête : Exquis...
1L'Origine rouge a été créée dans le cadre du Festival d'Avignon en juillet 2000 et fut jouée du 28 novembre au 1er décembre à la Manufacture à Nancy. Le texte est édité aux éditions P.O.L.
2 Il a joué dans Pour Louis de Funès