Oleanna

Lutte des classes

d'Lëtzebuerger Land du 15.03.2001

Le cynisme est ce qui reste quand tous les idéaux ont foutu le camp. Lui, John, professeur attendant d'être titularisé, méprise le système de l'éducation nationale tout en en utilisant les structures pour atteindre une certaine sécurité sociale pour sa famille. Il le décrit comme un « un rite », un « bizutage » pour l'upper-middle-class pour garder son statut social. Elle, Carol, jeune étudiante en première année, vient d'un milieu social défavorisé et attend tout de ce même système, c'est son seul moyen pour s'en sortir, entrer à la fac lui en a tant coûté. Alors, forcément, quand elle va voir son professeur dans son bureau pour lui expliquer qu'elle ne comprend rien à son cours ou à son livre, pour l'implorer de l'aider (« apprenez-moi ! »), deux mondes s'entrechoquent et on sent dès les premières minutes qu'entre eux, toute communication est impossible.

Oleanna, la pièce de l'Américain David Mamet (créée en 1992 et adaptée à l'écran en 1994) est avant tout une pièce sur les structures du pouvoir au sein de l'éducation. Là où, au premier acte, les rôles sont clairement définis - lui, le patriarche qui sait tout, méprise tout, et elle qui dépend du système et donc du prof pour s'en sortir -, elle trouvera une faille pour renverser le pouvoir. Parce qu'elle était venue demander de l'aide et qu'il n'avait que de la condescendance pour elle - les insupportables coups de fils de sa femme qui le presse de venir signer l'acte d'achat pour leur nouvelle maison coupent chaque embryon de dialogue - elle a compris qu'il était à un moment charnière de son ascension sociale et que ce serait la seule chose qui pourrait le déstabiliser. S'il n'attend rien plus impatiemment que sa titularisation, elle interviendra auprès du comité compétent pour l'empêcher : la plainte qu'elle dépose accuse l'aspirant-professeur d'être sexiste, élitiste, méprisant et de tenir un discours pornographique ; plus tard, elle envisage même de déposer plainte au correctionnel pour viol. 

Or, cette intervention, qui, pour les Européens, peut sembler excessivement politically correct, s'avère en fait être un cri d'alarme d'une étudiante à cran, qui veut qu'on l'écoute et qui ne supporte pas d'être désillusionnée à ce point par un enseignant arrogant. Contrairement aux étudiants de mai 68 en Europe, elle ne veut pas transgresser et casser le système mais demande à l'intégrer pour se sortir de son milieu social. Conservatrice, elle « fait ce qu'on [lui] dit » et demande des règles claires à son enseignant pour pouvoir suivre son éducation. Pour elle, réussir dans le système américain équivaut à une certaine valeur morale : ne pas comprendre est pour elle synonyme d'être une mauvaise personne. En fait, aucun des deux personnages n'est vraiment sympathique dans ce huis-clos. 

Oleanna est une pièce extrêmement sombre. Dans le travail de Marja-Leena Junker, elle est à voir comme une suite de sa Maison de poupée, au début de la saison au Capucins : ici aussi, une femme s'émancipe et utilise les structures de la société contemporaine, le discours de l'homme qui incarne pour elle le pouvoir le plus proche, pour les retourner contre lui, pour soi. La mise en scène de Marja-Leena Junker est très retenue, minimaliste presque, concentrée sur les deux acteurs Bach-Lan Lê-Bâ-Thi et Olivier Foubert, et sur le texte. Quelques gestes, quelques détails suffisent pour symboliser l'évolution psychique des personnages : elle, cachée au début sous ses longs cheveux foncés et en imperméable, se montrera de plus en plus, remonte les cheveux, chausse des talons, apparaît en robe haute en couleurs. Lui, au début si fier, aura une mine de plus en plus défaite ; ils iront même jusqu'à changer de siège et de place. 

Même si le texte de David Mamet est très artificiel - rien que le méta-discours sur le rôle de l'éducation qui constitue le cours du professeur l'indique - et bien que la fin soit excessivement naïve et moralisatrice, la pièce intrigue parce qu'elle démonte les structures du pouvoir dans cette micro-société. Elle ne reflète que trop bien les structures sexistes qui subsistent jusque dans un pays sur-développé comme les USA. 

Sans s'en même s'en rendre compte, le professeur ne s'adresse à sa femme que de façon hautaine, en l'appelant « bébé ». 

 

Oleanna de David Mamet, adaptation française de Pierre Laville, mise en scène par Marja-Leena Junker, dramaturgie : Carole Lorang ; décor : Jeanny Kratochwil ; costumes : Cynthia Dumont ; lumière : Véronique Claudel ; décor sonore : Jacques Herbet ; avec Bach-Lan Lê-Ba-Thi et Olivier Foubert ; représentations les mercredi, vendredi et samedi à 20 heures et les jeudi et dimanche à 18h30 jusqu'au 1er avril au Théâtre du Centaure « am Dierfgen », 4 Grand-Rue. Téléphone pour réservations : 22 28 28.

 

josée hansen
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