Art contemporain

Who’s afraid of red, yellow and blue?

d'Lëtzebuerger Land du 09.02.2018

La première chose à laquelle on ait pensé lors de l’annonce de l’exposition Twenty years from now du duo d’artistes français Claire Décet et Samuel François au centre d’art Nei Liicht à Dudelange, annonce dans laquelle ils promettaient vouloir « concevoir le lieu d’exposition comme lieu d’habitat », c’est qu’il s’agirait d’un retour aux sources : la maison de maître, qui abrite depuis 1982 un centre d’art communal, ne fut-elle pas initialement la résidence du directeur de l’Arbed locale ? En 2011, pour une de leurs premières grandes expositions communes, Martine Feipel et Jean Bechameil y avaient fait régner une ambiance de décrépitude d’un faste passé depuis longtemps. L’habitat, le lieu de vie toutefois qu’imaginent Claire Décet et Samuel François est tout autre : c’est celui de leur vie en commun – ils vivent en couple depuis vingt ans et travaillent côte à côte dans leur maison lorraine, sans jusqu’à présent avoir travaillé ensemble. À l’opposé d’Arianna Musetta et Marcin Sobolev (Cabinet Double Mafia, voir d’Land 04/18), qui exposent en parallèle à Dominique Lang et qui ont réalisé toutes leurs œuvres à quatre mains, Claire Décet et Samuel François travaillent plutôt en dialogue, par correspondance et oppositions, de manière contrapunctique où les œuvres se répondent ou se complètent dans une grande installation chavirant entre intimité et distance ironique.

Toute l’exposition est dominée par le jaune. Un jaune vif, chaud, qui est celui du soleil qui les a tant marqués lors d’une résidence d’artistes à Los Angeles en 2015. Et cette ambiance lumineuse, ils l’obtiennent avec un matériau tout ce qu’il y a de plus prosaïque : 34 mètres carrés de toile en polyéthylène rayée en jaune et blanc ont été tendus sur des châssis, eux-mêmes fixés dans les cadres des portes (laissant quelques centimètres en haut et en bas, qui permettent de lorgner de l’autre côté) et le long des murs. Ce Brise-vue s’avère être une idée absolument géniale, parce que non seulement cet élément structure l’espace et lui impose son ambiance gaie. Mais parce que, en plus, il sert de toile de fond aux petits tableaux bleus de Claire Décet (40 x50 cm), portraits de poissons qu’elle a peints en Californie, dans l’animalerie voisine de l’atelier des artistes. Les contrastes colorés rehaussent l’effet, mais en même temps, les rayures semblent renforcer la mélancolie des animaux par l’effet d’emprisonnement.

Autre salle où le dialogue entre deux créativités semble fonctionner parfaitement : celle, éponyme de l’exposition, où les vases en céramique de Claire Décet sont posés sur la moquette blanche et à côté des éponges naturelles proposés par Samuel François, artisanat versus ready-made. Alors que par ailleurs, Claire Décet prouve sa maîtrise du portrait (de femmes ou de poulpes et crevettes…), Samuel François, lui, aime à jouer la subversion, l’humour, en détournant une chaise (Daddydaddy [Blind job]) qui ne sert pas parce qu’elle ne consiste qu’en un châssis sans assise et en faisant l’autopsie d’un fauteuil matelassé (Marina). Ou encore en commentant presque imperceptiblement l’ennui des réceptions-cocktails avec Pale Terracotta & Travertin Braun, ces mange-debout standardisés dont il a accroché les éléments au mur du bureau qui sert toujours aux réceptions de vernissage – sauf que le dessus de la table a été remplacé par une toile peinte ici.

L’interface entre art et vie, entre espace imaginaire et espace réel est intellectuelle et ludique à la fois chez Samuel François et Claire Décet. Pour preuve encore : la maquette éclairée au néon rouge de la galerie (This room at the corner…), sorte de mise en abyme de l’exposition, ou encore Untitled (because the sun is yellow), une installation en intérieur et extérieur dans la montée des escaliers et qui fait sourire par la découverte qu’on fait en cherchant sur quoi le trou rond dans le film jaune collé sur la vitre peut bien ouvrir la vue (petit indice : c’est… jaune).

L’exposition Twenty years from now de Claire Décet et Samuel François, commissaire : Danielle Igniti, au centre d’art Nei Liicht à Dudelange dure encore jusqu’au 1er mars ; ouvert du mercredi au dimanche de 15 à 19 heures ; www.galeries-dudelange.lu.

josée hansen
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