Une écolière ? Une héroïne de manga ? Une actrice fantasmée en tout cas : Isabelle Huppert. Son image, sur un fond blanc, est poliment rangée à côté du titre en lettres imposantes : Sans queue ni tête, c’est elle et uniquement elle. Alice Bergerac, dans la première séquence, n’a pourtant rien à voir avec cette poupée de l’affiche : plus âgée, plus classe. Une dame qui joue avec le sens des mots mais qui ne cache pas son métier : c’est une prostituée. Le nœud, la jupe et les guêtres ne sont qu’un de ses nombreux costumes qu’elle enfile au gré des désirs de ses clients. Le travestissement lui assure une bonne rémunération, mais un équilibre psychologique plus fragile qu’il n’y parait et lorsqu’un jeu tourne mal, elle se promet d’arrêter bientôt, après le client qui lui permettra de s’offrir le lustre qu’elle convoite.
Et comme une promesse de lumière, c’est un psychanalyste qui souhaite la rencontrer. Alice pense avoir trouvé en Xavier Demestre (Bouli Lanners) le client idéal : épuisé par ses patients, par sa vie sociale, par sa femme qui le trouve « cynique par conformisme et mou par indifférence », il aurait bien besoin du traitement de légèreté qu’Alice propose de lui administrer.
Les similitudes entre la psychanalyse et la prostitution sont infinies, Jeanne Labrune en fait de nombreuses démonstrations : des corps crispés qui retrouvent un semblant de décontraction une fois allongé, un acte censé être libérateur, un paiement sans pudeur, au revoir et à la semaine prochaine. Pas d’implication : les symboles et les codes suffisent sans que, ni le psy, ni la gagneuse n’aient à compatir. Ils en ont assez, de toute façon, assez de soulager, l’un avec sa tête, l’autre avec son corps, toute la misère et la médiocrité humaines.
Sans queue ni tête (produit par Jani Thiltges, Samsa Film) surprend d’abord agréablement par le mélange des genres : l’étude de cas passe par la comédie (dont une séquence absurde très réussie, où Xavier se fait livrer par erreur une mitre d’évêque) qui peut, d’un plan à l’autre, passer au drame, lorsque la cinéaste montre les errances de ses personnages, en situation paradoxale de blocage. Mais c’est là que l’ennui gagne : les rituels de la psychanalyse et la prostitution, deux échappatoires aussi vieilles que résolument modernes, deviennent transparents et redondants, à mesure que le verbe se banalise. Focalisée sur des dialogues de moins en moins utiles, la cinéaste en oublie sa vivace mise en scène du début. Un changement de rythme qui apparaît comme contradictoire avec les tempêtes que semblent traverser les personnages.
Filmé en un huis clos assumé mais étouffant, qui ne laisse voir du monde extérieur des personnages secondaires stéréotypés dont deux seulement se révèleront construits (l’épouse, interprétée par Valérie Dréville, ainsi que le psychiatre, joué par Richard Debuisne, métamorphoses morales du duo Alice-Xavier), le film garde certes un aspect franc, mais, par des répliques ou par des regards, se prend parfois bien trop au sérieux et plombe l’atmosphère générale qui se dégageait jusqu’alors. Si Bouli Lanners surprend, par son calme et par son costume, Sans queue ni tête repose beaucoup sur Isabelle Huppert, qui donne trop peu. Elle se contente de jouer avec son mythe de femme glaciale (et en joue même, devant le miroir), mais on a le droit, à force de ne voir que cela, de ne plus y croire et de réclamer un peu plus de corps.