Les commissaires et les parlementaires changent mais une constante demeure : l’économiste et prospectiviste américain Jeremy Rifkin continue à faire recette auprès des dirigeants de l’UE. L’auteur du best-seller La Troisième Révolution Industrielle a fait escale à Bruxelles durant quinze jours, du 4 au 19 novembre, durant lesquels il a rencontré, par l’entremise du cabinet de Jean-Claude Juncker, pas moins de trois Vice-présidents de la Commission européenne : l’Estonien Andrus Ansip en charge du marché unique numérique, le Slovaque Maros Šecovic, doté du portefeuille de l’Union de l’énergie et le Finlandais Jyrki Katainen en responsabilité pour l’emploi, la croissance, l’investissement et la compétitivité ainsi que le commissaire allemand Günther Oettinger en charge de l’économie et de la société numérique.
Le Parlement européen n’a pas été en reste pendant ce séjour. Jeremy Rifkin en a rencontré le président, Martin Schulz, ainsi que les présidents des principaux groupes politiques : le conservateur Manfred Weber, le socialiste Gianni Pittella et le vert Philippe Lambert. Lorsque l’économiste américain se déplace à Bruxelles, les politiques lui ouvrent leurs bras et leurs agendas. « Certains ont même demandé à Jeremy de prendre des photos avec eux ou de leur dédicacer son livre » confie Angelo Consoli, le directeur Europe du bureau de Jeremy Rifkin.
À l’origine de l’engouement des responsables politiques européens, la notoriété internationale de cet auteur à succès mais également un ensemble de recettes pour sortir de l’impasse née de la crise et « revitaliser le rêve européen en créant la première société digitalisée du monde », écrit Jeremy Rifkin dans une lettre adressée à Jean-Claude Juncker à l’issue de son séjour bruxellois. Au cœur de la Troisième Révolution Industrielle qu’il a théorisée, se situe la rencontre d’une nouvelle source d’énergie et de nouveaux moyens de communication qui engendre, d’après Jeremy Rifkin, un changement de paradigme économique et sociétal. Dans son dernier ouvrage, La Nouvelle Société du coût marginal zéro, le prospectiviste y adjoint l’Internet de la logistique qui, avec l’internet de l’énergie et l’internet médium de communication forme l’internet des objets. L’essor actuel des énergies renouvelables, d’Internet et de moyens de transports intelligents déclencherait ainsi une Troisième Révolution Industrielle pourvoyeuse de croissance et d’emploi. Et le rôle de l’Union européenne, pour Jeremy Rifkin, est d’enclencher cette dynamique.
« Le message principal, c’est que l’Europe doit arrêter d’investir dans le passé. Elle doit investir dans le futur, c’est-à-dire l’économie du partage et l’internet des objets » plaide Angelo Consoli. Dans son memo à Juncker, Jeremy Rifkin précise : « si seulement 25 pour cent [des investissements faits par l’UE dans les infrastructures] étaient redirigés et consacrés à mettre en place l’infrastructure de l’internet des objets dans toutes les régions d’Europe, l’Union digitale pourrait être réalisée avant 2040 ». Pour l’économiste, l’enjeu est double : « créer des millions d’emplois » et relancer l’intégration européenne qui « n’a plus une vision claire des prochaines étapes de son avenir » depuis le rejet de la Constitution européenne en 2005.
« Les décideurs européens ont été sensibles aux idées de Jeremy Rifkin » estime son directeur Europe. « Nous avons eu un échange très intéressant avec le Vice-président Šefcovic à la Commission. Au Parlement, Philippe Lambert nous a étonnés par sa connaissance précise des dossiers. Il a travaillé vingt ans chez IBM et connait bien le numérique ». Les messages sont donc passés. Pour Angelo Consoli, pas question pour autant de parler de lobbying. « Le lobbying, c’est la défense d’intérêts économiques. Nous, nous défendons des valeurs », plaide-t-il, bien que dans les couloirs de Bruxelles la différence soit mince. Quoi qu’il en soit, Jeremy Rifkin ne compte pas perdre la main auprès des grands de l’Europe et son directeur sur ce continent espère désormais que « l’équipe de Jeremy Rifkin fera partie de la cellule de prospective qui pourrait être mise en place auprès de Jean-Claude Juncker ».