À la suite d’une blessure, une championne de ski se reconvertit avec succès dans l’organisation lucrative de parties de poker. À la limite de la légalité, son activité suscite aussi bien la convoitise de la mafia russe que l’investigation des agents du FBI.
Sorti au début de l’année en France et au Luxembourg sous l’intitulé Le Grand jeu, Molly’s Game est l’adaptation cinématographique d’un récit autobiographique tape-à-l’œil édité aux États-Unis en 2014 (Molly’s Game: From Hollywood’s Elite to Wall Street’s Billionaire Boys Club, My High-Stakes Adventure in the World of Underground Poker). Bien que le récit original cite, parmi les participants à ces soirées de poker clandestines, les grands noms américains de la finance, du sport, et surtout du cinéma (comme Tobey Maguire, Leonardo Di Caprio ou Ben Affleck), le réalisateur Aaron Sorkin, a choisi de les masquer sous les traits de personnages fictifs. Le film n’en reste pas moins fidèle au récit et vaut surtout pour la qualité de son script et celle de l’interprétation de Jessica Chastain.
Construite sur la base de plusieurs allers-retours entre le présent (l’intervention des agents du FBI, le procès de Molly Bloom) et le passé (le destin et l’éducation d’une championne de ski), l’intrigue alterne des dialogues « en rafale » et des souvenirs en forme de commentaires sur des images qui défilent à toute allure. La description des parties de poker, des combines et des rapports qu’induisent ce type de jeu entre des personnes très fortunées, de même que les états d’âme de Molly, sont restituées de manière efficace grâce à un montage rapide. On pense ici spontanément aux modèles du « genre », Casino de Martin Scorsese, ou Ocean’s Eleven de Steven Soderbergh.
Le réalisateur du film, Aaron Sorkin, a 56 ans. C’est sa toute première réalisation, mais il est connu depuis longtemps des amateurs de cinéma. D’abord auteur et metteur en scène de pièces de théâtre, il se fait remarquer par les scénarios de la série télé The West Wing (1999-2006), du film de Mike Nichols, Charlie Wilson’s War (2007) – une comédie grinçante sur la manière dont les États-Unis ont contribué à affaiblir les soviétiques en intervenant secrètement en Afghanistan, tout en favorisant le réveil des fanatiques religieux musulmans… anti-américains – et surtout de celui qui dresse le portrait détestable de Mark Zuckerberg (le créateur du tout aussi détestable Facebook) The Social Network de David Fincher (2010). Le « rapid-fire dialogue » et le « walk and talk » sont la marque de fabrique de Sorkin. Cette dernière repose sur le jeu des acteurs et un art serré du montage.
Jessica Chastain, qui ne cesse de crever l’écran à chacune de ses prestations depuis Zero Dark Thirty (Kathryn Bigelow, 2012), incarne Molly Bloom. Sa performance est tout bonnement stupéfiante. Elle donne une crédibilité parfaite à un personnage dont le charisme repose moins sur la valorisation de sa beauté plastique que sur son intelligence et sa droiture morale. Ce qui contribue paradoxalement au renforcement de son sex-appeal auprès du spectateur. La qualité de son jeu est rehaussée par celle d’Idris Elba, qui lui donne la réplique et par l’intervention, même minime, de Kevin Costner, en père à la fois autoritaire et prévenant.
En dépit de quelques invraisemblances et de développements parfois téléphonés, Molly’s Game est un très bon spectacle qui vaut pour la qualité de son scénario et l’interprétation remarquable de Jessica Chastain. Fabrice Montebello