« Les performances passées ne préjugent pas des performances futures ». Tout le monde connaît cet avertissement qui figure sur les documents remis aux souscripteurs de fonds. Il n’empêche. Même sans se livrer à des prédictions, comprendre le futur exige de bien connaître le passé, surtout si l’on peut s’inscrire dans une perspective historique riche de plusieurs décennies.
C’est précisément ce que permettent de faire les données collectées par l’institut de recherche du Credit Suisse, publiées en février dernier dans son Global Investment Returns Yearbook.
S’appuyant sur la base de données et les travaux d’Elroy Dimson, Paul Marsh et Mike Staunton de la London Business School,le document présente, pour 23 pays du monde (lire encadré), un comparatif des rendements des actions, des obligations et des bons à court terme sur plus d’un siècle (1900-2013) ! Les cinquante dernières années (période 1964-2013) font l’objet d’une attention particulière, tout comme celles qui se sont écoulées depuis le début du XXIe siècle.
Le premier constat était attendu. Les chiffres confirment sans aucune ambiguïté que, sur longue période, les actions sont le placement le plus rentable. De 1900 à 2013, elles ont rapporté en moyenne 5,2 pour cent par an ! En imaginant qu’une action ait été achetée cent dollars en 1900, et que ses dividendes aient été systématiquement réinvestis, leur montant cumulé en 2013, hors inflation, aurait été de 31 400 dollars.
De leur côté, les obligations n’ont généré que 1,8 pour cent, soit près de trois fois moins. Si l’on exclut du calcul les États-Unis, qui, on va le voir, tirent la moyenne vers le haut, on obtient tout de même un rendement annuel réel de 4,5 pour cent contre 1,6 pour cent pour les obligations. La différence n’est déjà pas négligeable, mais sur une aussi longue durée, elle prend des proportions énormes : au bout de 114 ans, les rendements cumulés des actions sont en effet 27 fois supérieurs à ceux des obligations.
L’évolution est néanmoins très contrastée selon les périodes choisies dans l’étude. De 1900 à 1963, époque marquée par deux guerres mondiales et la grave crise économique des années 1930, mais qui a aussi coïncidé avec la première moitié des « trente glorieuses », le rendement moyen des actions a été dans les 22 pays étudiés, hors États-Unis, de 3,6 pour cent par an. Mais lors des 36 années suivantes (1964-1999) il a doublé pour atteindre 7,2 pour cent avant de s’effondrer au début du XXIe siècle (1,7 pour cent par an depuis 2000).
Le rendement des obligations a connu le même profil historique, à la notable différence qu’il a été négatif, en termes réels, sur les deux premiers tiers du XXe siècle (-0,1 pour cent par an), consacrant ainsi « l’euthanasie des rentiers » chère à Keynes (qui aurait en fait par ces mots désigné tout autre chose). Les obligations se sont ensuite rétablies, générant en moyenne 4,6 pour cent d’intérêts par an entre 1964 et 1999, mais c’est surtout depuis 2000 que leur produit s’est amélioré pour atteindre 5,3 pour cent, dépassant alors de très loin celui des actions.
Les chiffres publiés par le Credit Suisse sont l’occasion d’une comparaison entre les États-Unis et l’Europe, plus précisément seize pays sur lesquels des données séculaires ont pu être compilées. Sur plus de cent ans, l’avantage est incontestablement aux États-Unis aussi bien pour les actions (moyenne de 6,5 pour cent par an contre 4,4) que pour les obligations (1,9 pour cent contre 1,1). En ce qui concerne les actions, le cumul des rendements est neuf fois supérieur outre-Atlantique, et atteint plus du double pour les obligations.
Toutefois l’analyse par période montre que l’Europe a surtout souffert des guerres et des crises de la première moitié du siècle précédent. C’est la raison pour laquelle entre 1900 et 1963, le rendement des actions y a été très inférieur à celui observé aux États-Unis (trois pour cent par an au lieu de sept pour cent). Quant à celui des obligations, il a même été, en moyenne, très négatif (-1,7 pour cent) tandis que les titres de créance américains conservaient un rapport très modérément positif (1,05 pour cent).
Mais par la suite, et quel que soit le support, le Vieux Monde a toujours fait mieux ! De 1964 à 1999, les actions européennes ont légèrement sur-performé leurs homologues américaines (7,7 pour cent contre 7,5), l’écart étant plus net pour les obligations (3,9 contre 2,2). Tendance identique pour les années récentes, avec des écarts qui se sont encore creusés. Les actions en Europe, même avec un rendement en très nette baisse (2,5 pour cent par an entre 2000 et 2013) font bien mieux qu’aux États-Unis (1,8 pour cent). Idem pour les obligations : 7 pour cent annuels sur le Vieux Continent contre 4,9 pour cent outre-Atlantique.
Ce qui fait dire aux auteurs de l’étude que la taille ne fait pas la performance. En effet, le marché américain des actions est de très loin le plus grand du monde : sa capitalisation représente près de la moitié de celle du globe, contre quinze pour cent en 1900. Elle est plus de cinq fois supérieure à celle de son suivant, le Japon. Le marché obligataire américain est aussi le plus important de la planète.
Cela dit, les chiffres plutôt flatteurs de l’Europe tiennent pour beaucoup au poids du Royaume-Uni. Premier marché actions du monde en 1900, avec un quart de la capitalisation du globe, il ne pèse plus que huit pour cent aujourd’hui, ce qui équivaut tout de même à la France et à l’Allemagne réunies.
En revanche, les trois voisins immédiats du Luxembourg n’ont pas spécialement brillé, surtout pour ce qui est des actions. Sur un siècle, le rendement moyen des actions belges n’a été en moyenne que de 2,6 pour cent, contre 3,2 pour cent en France et en Allemagne. C’est assez loin de la moyenne européenne et aussi deux fois moins qu’à Londres. Un piètre résultat qui doit tout aux six premières décennies du XXe siècle, une époque où les actions belges ne rapportaient que 0,26 pour cent par an, les allemandes et les françaises ne dépassant pas 1,8 pour cent Au cours des décennies suivantes, et jusqu’en 1999, les rendements se sont rapprochés d’un pays à l’autre (6,3 à 6,8 pour cent) tout en restant inférieurs à la moyenne européenne (7,7 pour cent) et à la performance britannique (8,1 pour cent). Ce n’est que sur les quatorze dernières années que la Belgique affiche sur les actions un résultat (2,5 pour cent par an) identique à la moyenne européenne, près de deux fois meilleur que l’Allemagne (1,3 pour cent) et surtout très supérieur à celui de la France (à peine 0,4 pour cent). Même le Royaume-Uni est à la traîne (1,2 pour cent).
Même constat pour les obligations, avec un bilan globalement assez désastreux. Sur un siècle les obligations françaises n’ont rien rapporté, les belges presque rien (0,2 pour cent) et les allemandes ont fait perdre de l’argent (-1,6 pour cent par an) ! Seules les britanniques ont émergé (1,4 pour cent). La faute à nouveau au début du XXe siècle : sur les 64 premières années, les obligations françaises ont eu un rendement réel négatif de quatre pour cent et les allemandes de 6 pour cent, des chiffres difficilement imaginables aujourd’hui.
La fin du siècle (sauf en Allemagne) et le début du XXIe siècle ont permis de « rattraper le coup » avec des rendements obligataires historiquement élevés depuis 2000 : 4,4 pour cent en Belgique, 5,2 pour cent en France et jusqu’à 6,3 pour cent en Allemagne contre à peine 2,5 pour cent outre-Manche.
Naturellement les chiffres du Credit Suisse ont quelque chose d’artificiel, et ne correspondent en rien au « vécu financier » personnel des investisseurs. La présentation en moyenne annuelle lisse les résultats, qui paraissent traduire une évolution linéaire alors que la volatilité a été énorme, notamment pendant la première moitié du XXe siècle. Le choix même des périodes étudiées, s’il est compréhensible car il correspond à un découpage temporel classique (cinquante ans, cent ans), est d’autant plus arbitraire que personne ne détient des valeurs pendant aussi longtemps. Pour un investisseur donné, indépendamment du support, la performance dépend dans une large mesure des moments où il est « entré sur le marché » et où il en est sorti, entre lesquels s’écoule en général un délai assez court par comparaison aux longues périodes historiques.
En ce sens, il est probable que les lecteurs du document du Credit Suisse seront surtout intéressés par la période 2000-2013. Mais elle est pourtant constituée, au minimum, de deux sous-périodes très distinctes, avant et après la crise financière, de sorte que la moyenne sur quatorze ans est malgré tout difficile à interpréter, si ce n’est pour donner une idée du « renversement de hiérarchie » dans le rendement des valeurs.