Ce sont comme des blasons qui sont actuellement accrochés aux murs du Centre culturel portugais, place Joseph Thorn à Luxembourg-Merl, même si l’artiste utilise simplement de l’acrylique sur papier. Le nouveau CCPL se trouve juste à côté du buste de Luis de Camõs, dont le poème épique Les Lusiades fit du navigateur Vasco de Gama la figure mythique des conquêtes territoriales à l’origine de l’empire portugais.
Au moment même où est contesté, dans le Portugal démocratique depuis la Révolution des œillets en 1974, une résurgence de la glorification coloniale, Miguel Telles da Gama expose des armures liées à ce passé conquérant. Il fit connaître à l’Occident les épices, des plantes et des légumes, l’or et l’argent mais à un prix humain, l’esclavagisme, sans lequel l’exploitation de ces richesses n’aurait pas été possible.
Ce sont des morceaux d’armures : un heaume, visière baissée sans visage reconnaissable, un bras d’où ne sort aucune main qui tiendrait une arme, une genouillère pliée, mais ne couvrant aucune jambe qui monterait à cheval, un plastron ne protégeant aucune poitrine. Soit sans les corps dans lesquels combattirent les conquérants. Ce ne sont pas des portraits, pour lesquels posaient fièrement les vainqueurs guerriers et les administrateurs des terres conquises, le poitrail orné du ruban de tel ordre glorieux décerné par leur roi.
Miguel Telles da Gama suggère tout cela dans ses peintures, mais c’est un artiste de notre temps qui cite, dans le catalogue qui accompagne l’exposition (en portugais et en anglais), le film Aguirre, la colère de Dieu de Werner Herzog ou les carapaces de scarabées du peintre flamand Jan Fabre. Un cinéaste filmant la conquête avortée de l’Eldorado, contrée mythique d’Amérique du Sud supposée regorger d’or, un peintre contemporain truculent, héritier de Bosch et de Bruegel, qui ont su dépeindre les folies des hommes et les animaux fantastiques les dévorant autant que leur ambition.
Six seulement des 24 tableaux composant la série complète de Miguel Telles da Gama sont exposés au Centre culturel portugais. C’est la première fois, hors des œuvres qui se trouvent à l’ambassade du Portugal à Copenhague, que cet artiste (il a cinquante ans, il vit et travaille à Lisbonne), est exposé sinon dans son pays natal et quelques incursions sud-américaines à Santiago, à Brasilia.
On ne connaît pas le restant de son travail mais la présente exposition est une découverte, comme son titre Lux in tenebris est parfaitement adapté à sa manière de faire sortir les parties d’armures vides et leurs articulations de la nuit de l’histoire, pour nous faire observer comme à la longue vue, de par sa mise en forme circulaire, leurs détails minutieusement ciselés parfois comme des bijoux. Ou de les regarder tout simplement, comme si une nuit de pleine lune faisait briller une lumière blanche sur le métal noir.