Paysage audivisuel

La télé démystifiée

d'Lëtzebuerger Land vom 19.06.2003

Maurice Molitor is back! Après avoir été pendant une dizaine d'années le visage du nouveau paysage audiovisuel luxembourgeois, rajeuni après l'époque des pionniers autour de Jean Octave, d'abord en tant qu'anchorman du journal télévisé quotidien, puis dès 1997 également en tant que rédacteur en chef, il quitta RTL Télé Lëtzebuerg fin 2001 pour aller s'occuper de la chaîne parlementaire Chamber TV. Mais là, son concept ambitieux pour le développement de la chaîne échoua bien vite dans la conférence des présidents, et depuis, il faut viser juste pour l'apercevoir à l'écran, en principe pour une brève introduction avant les séances, vers 14.30 heures les mardi. Il manquait à la télévision, et on se demandait bien quand l'intérêt pour le débat politique allait le réveiller.

La rumeur qu'il allait se lancer dans la création d'une nouvelle chaîne de télévision courrait depuis un moment. Le 9 avril dernier a été fondée la société DOK, Den oppene Kanal, tenue à parts égales par sa femme, Martine Colling, et Michel Baudet; les deux actionnaires en sont également deux des quatre administrateurs, ensemble avec Maurice Molitor et le réalisateur de télévision indépendant Philippe Baudet. L'objectif de la société est défini dans l'article 4 de ses statuts: «La Société a pour objet l'étude de faisabilité et la mise au point des actes préparatoires pour un projet d'exploitation de programmes audiovisuels, notamment quant au développement de produits sonores et/ou visuels et quant à la recherche de dispositifs de production et de diffusion afférents, pour son propre compte ou pour des tiers, ainsi que toutes activités de recherche et de conseil y relatives.» 

Ayant introduit une demande de licence de diffusion auprès du Service des médias du ministère d'État, et attendant la réponse du gouvernement dans les prochaines semaines, Maurice Molitor se tient encore extrêmement couvert, de peur de la concurrence. «Ce que je peux vous dire aujourd'hui, c'est que ce ne sera certainement pas RTL bis mais une plate-forme alternative, pas vraiment une chaîne de télévision dans un sens classique, mais une offre qui se situe dans une niche qui n'est actuellement pas occupée,» affirme-t-il. La communication ne sera lancée qu'une fois la licence accordée; un démarrage du projet pour la rentrée de septembre serait tout à fait envisageable.

Coïncidence ou concurrence directe, Frank Zeimet, gérant journalier de la radio DNR, directeur de l'agence de communication Media Brain,  et travaillant à ce titre également pour le parlement en tant que coordinateur du nouveau Chamberbliedchen, a une idée ressemblant fortement à celle de DOK : «Actuellement, nous n'en sommes encore qu'au stade de l'idée. Mais nous nous disons qu'on peut, par exemple, être fédérateur de services pour des sociétés et des personnes qui ont envie d'offrir des programmes de télévision, qu'elles soient luxembourgeoises ou étrangères. Cela pourrait être un modèle où on payerait un droit d'entrée pour être diffusé sur notre canal, mais d'autres modèles restent possibles. Nous sommes en train d'y réfléchir,» explique-t-il au téléphone. Pour ces besoins, Frank Zeimet serait en train de créer une nouvelle société, aucune demande de licence n'a encore été introduite. À la question naïve «est-ce que ce sera Wort TV», il répond par un non catégorique : «Si le Luxemburger Wort voulait faire de la télévision, il s'y serait lancé depuis longtemps!»

«Je vous assure que Kueb TV reviendra!» affirme pour sa part Pierre Buchholz. Une nouvelle équipe se serait constituée après que les Fernand Guelff, Marc Thoma et autres Pascal Granicz se furent disputés quelques mois seulement après le lancement en automne 2001 de la chaîne, à tel point que les émissions furent immédiatement arrêtées. En mai 2002, Marc Thoma, Pascal Granicz et le producteur Pierre Vandeninden démissionnèrent de la société-mère Ivalux; une autre société de Pierre Buchholz, Infotel, reprit l'entièreté du capital à l'exception d'une action, que Buchholz a gardée en nom personnel. Il en est aussi le gérant. Le déficit accumulé en quelques mois a été couvert par Infotel. La licence de Kueb TV reste en vigueur, de premiers éléments de programmes seraient en production à Roodt/Syr, la reprise des activités deviendrait ainsi envisageable dans les prochains mois. 

Tout se passe comme si le paysage télévisuel connaissait aujourd'hui la même effervescence que celui des radios au milieu des années 1990, après la libéralisation des ondes. Peut-être qu'un des mérites en revient à Marc Thoma et consorts, qui s'acharnaient dans leurs démarches pour obtenir une licence et voir l'interdiction de faire de la publicité en télévision levée, menaçant d'aller jusque devant les tribunaux européens. Jusque-là, seuls des contrats de sponsoring ou de parrainage étaient possibles en télévision, le monopole de la publicité revenant à RTL. Cette interdiction fut annulée l'année dernière par le gouvernement, depuis, toutes les sociétés peuvent faire des recettes allant jusqu'au même plafond que celui de RTL Télé Lëtzebuerg, soit 5,591 millions d'euros par an, avec une progression de six pour cent par an. 

«Ce plafond, nous allons sans aucun doute l'atteindre cette année,» affirme Alain Berwick, le directeur des programmes luxembourgeois de RTL Group. Ce serait donc une reprise après que, selon les Media Key Facts 2003 de leur régie IP Luxembourg, les investissements publicitaires en télévision avaient baissé de sept pour cent en 2002 par rapport à l'année précédente. La part de marché globale de la télévision sur le marché publicitaire est assez stable, avec quelque dix pour cent. Ni la levée du monopole publicitaire, ni l'arrivée des nouvelles chaînes comme Nordliicht TV d'Irène Pissinger-Engelmann (0,6 pour d'audience selon IP) ou de Tango TV de Tele 2 AB (1,5 pour cent, toujours selon IP) n'auraient donc vraiment fait de l'ombre à RTL.

«Vous savez, je suis persuadé qu'un peu de concurrence nous fait du bien, poursuit Alain Berwick. Par l'arrivée des nouvelles chaînes il y a deux ans, notre programme s'est amélioré, nous sommes devenus plus jeunes, plus dynamiques.» Et l'interaction est réciproque: RTL essaye d'améliorer la qualité de Planet RTL, alors que Tango TV va de plus en plus en direction d'émissions d'actualités et de débat (26 Minutten, Talk 2 Tango...) Toutes les chaînes sont actuellement en train de fignoler leurs grille de rentrée. «Je ne connais pas en détail le programme de Maurice Molitor, mais nous ne nous faisons pas vraiment trop de soucis, dit Alain Berwick. Il serait par exemple tout à fait envisageable que sa société produise des éléments de programmes pour nous...» 

Car RTL veut étendre ses programmes au-delà de ses deux heures actuelles, ce n'est pas un secret. Alain Berwick et son équipe ont développé un concept pour un programme de télévision complet, qui couvrirait toute la journée. «Un programme de service public, de qualité,» comme il le définit. Même si les actionnaires en ont accepté l'idée, il reste un financement à trouver. En un premier temps, une extension d'une heure hebdomadaire serait envisageable, puis une heure quotidienne de plus et ainsi de suite. 

Cette initiative remonte très certainement à la motion de la Chambre des députés de juin 2002, qui faisait suite aux consultations sur l'état des médias électroniques. En effet, le parlement y invite e.a. le gouvernement «à prévoir que des missions de service public peuvent être attribuées par convention à une ou plusieurs sociétés privées ou organismes publics; à explorer de nouvelles voies en matière de financement du service public; à étudier les possibilités d'un subventionnement de la production d'émissions de qualité et présentant un caractère socio-culturel destinée à la télévision et à la radio.» 

Actuellement, selon le contrat de concession qui lie RTL jusqu'en 2010 encore à l'État luxembourgeois, la chaîne privée est obligée de fournir certains éléments de programme de service public: informations, sport, culture, programmes pour non-luxembourgeois. En contre-partie, l'État luxembourgeois n'encaisse pas de frais d'utilisation sur les ondes hertziennes qu'il cède à RTL.

RTL a la technique et le savoir-faire et n'aimerait pas se voir concurrencée sur son propre marché par de nouveaux acteurs qui produiraient des éléments de programmes de service public. Au Service des médias, on travaille toujours à la nouvelle loi sur les médias électroniques, réformant celle de 1991, et devant e.a. créer une nouvelle autorité de régulation, qui succédera à l'actuel Conseil national des programmes. L'approche du gouvernement PCS/PDL est résolument libérale, faisant désormais confiance au pouvoir régulateur du marché. 

Mais faire de la télévision reste autrement plus lourd - ne seraient-ce que les négociation avec les câblo-distributeurs pour être diffusé - et plus coûteux - l'acquisition du matériel technique, les frais incompressibles de main d'oeuvre - que de lancer un journal. Lors des consultations du parlement déjà, de nombreux opérateurs de programmes radio demandaient une sorte d'aide à la presse audiovisuelle, vues leur difficultés de survivre. Une possibilité que le ministre délégué aux médias, François Biltgen (PCS), exclut toutefois catégoriquement, expliquant que le concept même d'une aide financière directe, introduite pour garantir la diversité de la presse, ne pouvait se transposer tel quel sur un autre média.

Pour participer au financement des nouveaux programmes de télévision, les réflexions du gouvernement semblent effectivement aller en direction d'éléments de service public cofinancés par l'État et attribués selon des cahiers des charges précis. Le terme de service public devra alors être très clairement défini dans la nouvelle loi. Toutes les chaînes, de DOK à Nordliicht, de Kueb TV à Tango, du projet scolaire Uelzechtkanal en passant même par Chamber TV jusqu'à la future chaîne potentielle de Frank Zeimet, devraient alors à moyen ou à long terme pouvoir participer à des sortes de soumissions, qui pour la production d'émissions de débat politique, qui pour la culture ou le sport. 

Ne reste plus qu'à trouver les journalistes, animateurs, cameramen, monteurs et autres réalisateurs capables d'assurer des programmes de qualité. Car le manque de personnel qualifié, surtout des journalistes, est le mal qui rogne tous les médias de ce paysage minuscule mais extrêmement riche en titres et produits de presse qu'est le Luxembourg.

 

 

 

 

 

 

josée hansen
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