«  Familljeclanen  »

d'Lëtzebuerger Land du 23.05.2025

C’est une hantise ancienne que Léon Gloden (CSV) a exprimée en juin 2023 : « An engem klenge Land wéi Lëtzebuerg kann et net sinn, datt Institutioune gouvernéiert gi vu ‘Familljeclanen’, entre guillemets ». Plus d’un siècle et demi plus tôt, le Conseil d’État mettait déjà en garde contre « le danger de voir le pouvoir tomber dans les mains de quelques familles momentanément favorisées par l’estime populaire ». Le Grand-Duché a tenté de s’en prémunir en introduisant des incompatibilités liées à la parenté ou à l’alliance qui s’appliquent aux élus de la Chambre des députés (et des conseils communaux). Il s’agit d’une particularité politique luxembourgeoise. La cellule scientifique de la Chambre vient d’analyser 42 parlements nationaux : Seul le Consiglio Grande et Generale de Saint-Marin connaît de telles exclusions basées sur des critères familiaux. (Cette micro-république compte soixante députés pour quelque 30 000 habitants.)

Au Luxembourg, l’article 131 de la loi électorale définit un périmètre très large : « Les membres de la Chambre ne peuvent être parents ou alliés jusqu’au second degré ni être unis par les liens de mariage ». C’est l’inclusion de la famille par alliance qui rend les règles d’incompatibilité si radicaux. Un(e) élu(e) ne peut pas siéger avec les grands-parents, les petits-enfants, les frères ou les sœurs de son ou de sa conjoint(e). Or en 2023, un accident légistique est arrivé « par mégarde ». Le passage constitutionnel sur lequel se basaient ces règles est passé à la trappe lors de la grande révision. Du coup, l’article 133 est devenu inapplicable. Il faudra un avis du Conseil d’État, en mai 2023, pour alerter les députés de la bourde. Les Sages y notaient qu’« en l’absence d’habilitation constitutionnelle », les députés ne pourraient fixer des incompatibilités familiales. Mars Di Bartolomeo parlera d’une « momentan Situatioun, déi net hei vun eis gewollt war ». Sven Clement évoquera un problème « deen elo e bësse malgré nous entstanen ass ». Mais il reste qu’aujourd’hui, plusieurs membres d’une même famille (deux époux, un frère et une sœur, un père et sa fille, etc.) pourraient siéger ensemble à la Chambre.

De l’ADR à Déi Lénk, les partis étaient encore unanimes au printemps 2023 : Il faudrait réintroduire les anciennes incompatibilités, voire les étendre aux Pacs ou aux concubinages. Ce consensus s’est évaporé. Il a été remis en question une première fois par Sam Tanson en novembre 2024. Dans la commission des Institutions, la leader verte a soulevé la question de savoir si ces règles étaient « encore d’actualité et compatibles avec les nouveaux modèles familiaux », ne cachant pas qu’elle était favorable à leur abolition. À la surprise générale, Luc Frieden semblait lui donner raison : Il y aurait un « intérêt à revoir les listes des incompatibilités ». Ne sachant trop quoi faire, les députés ont préféré temporiser. Ils ont passé commande d’une étude comparative à la cellule scientifique, puis d’une deuxième note « complémentaire ».

Entretemps, les avis ont changé. Ceci est devenu apparent lundi à la commission des Institutions. Contactée par le Land, la socialiste Taina Bofferding estime que les règles d’incompatibilité seraient « un peu old school ». Elle se dit « relativement open » à l’idée de les abroger pour de bon. Dans son papier de position sur une réforme de la loi électorale, le LSAP parle d’« une limitation sévère des droits politiques, [qui] repose sur une vision dépassée des relations de famille ». Sur la question, il y aurait « deux écoles » au sein du CSV, explique Laurent Zeimet, « Volkspartei oblige ». Bref, le parti devrait encore se concerter. Même son de cloche chez le DP, où le sujet sera mis à l’ordre de jour d’une des prochaines réunions de fraction. Gilles Baum avance d’ores et déjà son « avis personnel ». La question de l’incompatibilité serait « eppes absolut Onwichteges » : « Je me demande vraiment si on n’a pas d’autres problèmes… » Le député Déi Lénk Marc Baum reste, lui, attaché au principe de l’incompatibilité familiale, dont l’abolition « ne constituerait pas un progrès pour la démocratie représentative ».

Mais en fait, les logiques dynastiques se diffusent surtout via le panachage, survivance du suffrage censitaire. Certains jeunes politiciens peuvent capitaliser sur leur nom de famille, en attendant de se faire un prénom. Les députés de père en fils ou en fille restent nombreux au Krautmaart : Que ce soient les Spautz (Jean et Marc), Fayot (Ben et Franz), Mosar (Nicolas et Laurent), Weiler (Lucien et Charel) ou Wolter (Jean et Michel). Même si, d’une génération à l’autre, le parti peut changer, comme pour Liz Braz (fille de Félix), Nathalie Oberweis (fille de Marcel) ou Charles Margue (fils de Georges). Il y a également les liens au deuxième degré, du grand-père au petit-fils (Jean Fohrmann et Alex Bodry) ou à la petite-fille (Roger Schleimer et Sam Tanson), voire au troisième degré (Raymond Weydert et sa nièce Stéphanie). Le cas des Kox est à ce titre instructif. Martin Kox s’est désisté en 2018 pour laisser son frère Henri entrer au Krautmaart. Nommé ministre une année plus tard, celui-ci a été remplacé par sa nièce Chantal Gary.

Bernard Thomas
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