S’asseoir une minute. Prendre un café en donnant une interview. Geula Naveh a le Kleeschen et Noël dans les jambes, un des principaux marchés du secteur du chocolat étant les fêtes de fin d’année. Mais là, c’est bon, tout est prêt, il ne reste plus qu’à terminer les emballages de ballotins de pralines pour des cadeaux d’entreprise, et les grosses commandes à l’export. Dans la manufacture, une équipe de six personnes s’affaire à aligner, décorer, emballer. « Tous les ans, je lance quatre nouveaux goûts et j’en enlève quatre anciens », explique Geula Naveh en prenant une gorgée de café dans sa tasse préférée. Elle a des étincelles dans les yeux quand elle parle de ses chocolats.
Pourtant, son parcours est tout sauf classique. Ce sont ses parents marocains qui lui ont donné ses nom et prénom originaux, Geula Naveh, dont la contraction a donné le nom à sa marque de chocolats. Puis sa vie professionnelle et personnelle l’a menée en Afrique du Sud, où elle fut chercheuse en hématologie dans un hôpital, après des études en biologie, biochimie et bactériologie. Pourtant, après la naissance de ses enfants, elle trouvait le quotidien trop dur, fréquenter tous les jours des enfants leucémiques lui devint insupportable. Geula se réoriente alors vers le stylisme et la mode, crée sa collection de vêtements pour enfants, déménage en Israël avec son mari avant de se réorienter une troisième fois, en cuisine, pâtisserie et chocolaterie, où elle a notamment suivi des cours chez Lenôtre. Et encore une fois, la carrière de son mari les fait déménager et l’amène avec sa famille au Luxembourg.
C’est alors que Geula Naveh commence à travailler le chocolat, donnant d’abord des cours bénévoles pour Luxembourg Accueil, qui offre des programmes pour expatriés. « Mes élèves étaient mes meilleurs juges », se souvient-elle. Jusqu’à ce que son mari l’encourage à se professionnaliser, nous sommes alors en 2002 ou 2003, il investit pour elle « dans les meilleurs machines ». Les chocolats Génaveh sont d’abord lancés dans un petit immeuble à Strassen. Puis, coup de théâtre : en 2006, elle remporte une distinction au Salon du chocolat à Paris – sa notoriété explose, elle a des clients partout dans le monde, notamment en Islande, où elle fournit douze tonnes de chocolats à un seul client. Puis vint le krach islandais de 2008 et la crise financière mondiale, « des années très dures » raconte Geula. Avant de reprendre le sourire : aujourd’hui, elle a remonté la pente, la fabrique a déménagé à Steinfort, dans un hall industriel plus spacieux et plus pratique au quotidien.
Selon les dernières statistiques européennes, publiées à l’occasion du Salon du chocolat parisien cet automne, les Allemands sont désormais les plus gros consommateurs de chocolat en Europe, engloutissant 12,22 kilos par habitant et par an, devant les Suisses (11,7) et largement devant les Belges (7,54) et les Français (6,69 kilos). Actuellement, les prix du cacao flambent, mettant en danger le fragile équilibre des prix, puisque le Japon et la Chine sont en train d’en découvrir le goût. Dans les pays réputés pour leur chocolat, comme la Suisse, la Belgique et la France, la tendance va vers le haut de gamme : des chocolats à haute teneur de cacao, des goûts sophistiqués et des emballages nobles. Les plus grandes marques ont désormais des points de ventes qui ressemblent à des bijouteries et s’implantent le long des artères commerciales chics à Paris ou à Bruxelles.
C’est exactement le segment que vise Génaveh, qui exporte 80 pour cent de sa production en France, en Allemagne ou en Irlande, mais aussi plus loin, notamment au Maroc ou en Arabie Saoudite. Au Luxembourg, elle doit se positionner face à la concurrence des historiques Ober-weis et Namur, qui dominent le marché des Saint-Nicolas et autres œufs de Pâques. Geula Naveh le fait à sa manière, en travaillant et en tissant des liens avec un réseau de commerçants qui cherchent des alternatives aux grandes multinationales de l’agro-alimentaire en fournissant une offre artisanale et locale, très tendance. Lors d’un voyage de femmes d’affaires en Israël, Christiane Wickler l’a ainsi approchée pour lui proposer d’être présente dans le réseau des Pall Centers. On trouve désormais les tablettes « Luxembourg handcrafted chocolate » près des caisses des supermarchés de proximité. Les emballages dessinés à la main rappellent la formation en stylisme de la directrice de la chocolaterie. Les chocolats Génaveh sont aussi en vente à l’épicerie Paul, rue Philippe II, ou en ligne sur Zakzak.lu, à des prix tout à fait raisonnables : vingt euros les 25 pralines, cinq euros la tablette de cent grammes, sans sucre. « Nous cherchons actuellement comment travailler les grandes surfaces », affirme Geula Naveh, ajoutant qu’il faut trouver une stratégie pour offrir un produit adapté.
« Vous savez, le chocolat est un produit très scientifique », explique la cheffe d’entreprise, et que sa formation de scientifique lui sert à réussir les bons dosages – pour qu’un chocolat ait un petit goût pimenté ou fruité sans que cet arôme n’étouffe tout le reste, pour que les ingrédients ne cristallisent pas et ne se décomposent pas. Fan de chocolats purs, elle en vante les qualités pour la santé, notamment anti-oxydantes. Des qualités qu’elle essaie de promouvoir dans des ateliers pour enfants et des événements comme « l’expérience nocturne du chocolat ». Le chocolat, cela ne s’avale pas – cela se déguste.