Des témoignages, de part et d’autre, pour comprendre la Palestine et se rendre compte d’une paix quasi impossible

Audiatur et altera pars

d'Lëtzebuerger Land vom 09.05.2025

On n’a jamais été informés de façon plus abondante, de manière plus percutante. Et les réactions sur les réseaux sociaux d’aller dans un même sens excessif. Bien sûr, l’horreur du 7-Octobre ne pouvait pas ne pas provoquer de choc, même au plus lointain, de traumatisme, au plus près. Seulement, rien ne doit être pris hors de son contexte, et l’émotion la plus vive et la plus légitime, il lui faut faire place à un moment à la réflexion. Malgré l’indécence qu’on peut ressentir à soupeser les morts des deux côtés. Seule une perte de mémoire, une vision découpée, conduisent à une prise de position unilatérale, ou pire, une mauvaise foi, un parti pris.

De Gaulle, dès 1967, avait vu l’engrenage inévitable : occupation, oppression, répression, expulsions, résistance qualifiée très vite de terrorisme. Aujourd’hui, les hommes politiques, les commentateurs, se souviennent-ils de l’hôtel King David ? Il faut noter en passant que si la qualification de terrorisme, de nos jours, est utilisée pour tout emploi de violence visant à ébranler l’ordre établi, elle a son origine dans la Terreur (et là on met une majuscule) exercée par un régime même ; il existe toujours des États, à chacun de faire sa liste, qui poursuivent cette tradition.

Le conflit du Moyen Orient, ou conflit israélo-palestinien, il ne faut pas en parler à la légère, en méconnaissance de cause, sans une remontée dans le temps, plus d’un siècle même. Et plus particulièrement depuis la création justement de l’État d’Israël, l’expulsion des populations palestiniennes, avec la Nakba (tant soit peu de savoir-vivre ou de tact interdirait par exemple à tel promoteur immobilier d’évoquer une Riviera sur le territoire de Gaza). Passons, les ouvrages existent pour s’informer, un hors-série du Monde par exemple, quarantes cartes pour comprendre le conflit, ou l’enquête graphique, Comprendre la Palestine d’Alizée De Pin et de Xavier Guignard (éditions Les Arènes).

Pour la suite, restons dans le présent, il sera question de deux livres on ne peut plus opposés, mais qui renvoient l’un à l’autre avec force. Le premier, Les portes de Gaza (Christian Bourgois Éditeur), est l’œuvre d’un témoin direct du 7-Octobre, Amir Tibon, journaliste au quotidien Haaretz, vivant dans le kibboutz Nahal Oz, tout à côté, moins d’un kilomètre, de la bande de Gaza. Lui et sa famille ont eu la vie sauve, ils ont passé les heures terribles dans la pièce sécurisée de leur maison. L’autre livre, Je suis ma liberté (Gallimard, collection Du monde entier), a pour auteur un prisonnier palestinien, Nasser Abu Srour, incarcéré à perpétuité dans les geôles israéliennes, depuis une trentaine d’années. Il a été condamné pour sa participation au meurtre d’un officier des services de renseignement israéliens au cours de la première Intifada, des aveux auraient été faits sous la torture. Il aurait peut-être été libéré dans un échange avec des otages, si Netanyahu n’avait pas rompu la trêve au mois de mars dernier.

Le livre d’Amir Tibon porte d’abord des années en arrière, en 1956, avec un discours de Moshe Dayan dans le kibboutz en hommage à un habitant assassiné par les Palestiniens, mais le chef israélien d’affirmer que la source de la violence n’est pas à rechercher parmi « les Arabes de Gaza, mais en notre propre sein ». En conclusion, l’auteur y revient, pour constater qu’il n’existe plus de leaders, nulle part, « remplacés par des psychopathes et des hommes égocentriques ». Entre ces deux passages, il y a le récit poignant de la terrible journée de l’attaque du Hamas, avec cette seule obsession, rester calmes pour survivre. « Les portes de Gaza pèsent encore sur notre pays... », Amir Tibon reconnaît ne pas avoir voulu écrire ce livre, il s’y est résolu, pour faire connaître l’histoire de Nahal Oz, et au-delà donner un éclairage si juste à tant d’égards.

S’il faut absolument trouver quoi que ce soit de commun aux deux livres, ce sera la désillusion des auteurs envers leurs propres dirigeants. Mais le récit de Nasser Abu Srour, et c’est son intérêt indéniable, est celui d’un destin personnel, comme indiqué d’emblée par l’emploi de la première personne dans le titre, à la teneur très sartrienne. Oui, cet homme né dans un camp de réfugiés, est resté libre dans son emprisonnement, dans ce qu’il appelle « l’histoire d’un mur », celui, même au fil des prisons, auquel il a fait face, et dont il s’est fait la voix. Un destin personnel lié à celui d’un peuple, d’un pays, auxquels il s’élargit sans cesse, on nous apprend que les Bédouins puisent dans un lexique infini pour décrire le désert. Et Nasser Abu Srour, dans une deuxième partie du récit, dans et contre « l’étroitesse des lieux » nous touche d’autant plus profondément avec un lyrisme de très belle envolée par son amour impossible, dans les circonstances qu’on sait, pour une jeune femme avocate.

Voilà deux écritures, l’une réparatrice sans doute, l’autre salvatrice. Et l’espoir, demandera-t-on. Terrible paradoxe qu’il ait fallu le 7-Octobre pour que la solution des deux États réapparaisse sur le devant de la scène géopolitique. Alors que tout a toujours été fait, depuis des décennies, à part le moment d’Oslo, par la lâcheté des uns (et de la communauté internationale) et le jusqu’au-boutisme des autres (et une colonisation effrénée), pour l’éliminer. On semble se décider enfin à reconnaître cet État palestinien (bien que morcelé, émietté, dévasté). Une lueur, il restera l’attrait de l’utopie, d’un État binational, avec ses valeurs humaniste et pacifiste.

Lucien Kayser
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