Il faut s’imaginer une réunion du conseil de gouvernement en préparation du dépôt de budget de l’État à peu près comme ça : bronzés après leurs vacances d’été, les ministres reviennent pleins d’énergie et de bonne humeur, avant que leur collègue des Finances, Luc Frieden (CSV), ne leur donne les chiffres sur l’évolution des finances publiques : chute des recettes fiscales et augmentation ininterrompue des dépenses liées à la crise, par exemple des indemnisations de chômage. Il faut agir, inverser la tendance. Qui a des idées ? Qui est prêt à faire des sacrifices dans son domaine ? Embarras général, tout le monde se cache derrière ses documents, son portable ou son voisin. Les prochaines élections législatives ont lieu en 2014, aucun ministre ne veut alors devoir tirer un bilan qui prouve sa faiblesse en négociations, avouer qu’il fait des concessions, alors qu’un collègue en a fait moins. Luc Frieden insiste, les réunions se prolongent et se répètent ; la gauche et la droite, visiblement surpris par le fait que la crise économique perdure, se concertent en aparté pour concéder qui une coupe dans ses dépenses, qui un décalage dans le temps des investissements dans son domaine. Il en sort une charrette de mesurettes comme celles présentées mardi 2 octobre, lors du dépôt du budget d’État pour 2013, une douzaine de petites touches qui font économiser deux millions par-ci et trois millions par-là. La plus grosse économie, celle de la suppression des quatre premières unités du forfait kilométrique, étant estimée à 35 millions d’euros (voir d’Land 40/12 du 5 octobre). En tout, le gouvernement chiffre à entre 176 et 215 millions, selon la source, la valeur totale des mesures proposées (sur un déficit total attendu de 1,3 milliard d’euros), somme qui s’ajoute aux 535 millions d’économies décidées en avril. Or, il est difficile de discerner une ligne claire dans ces mesures, à part la suppression de quelques primes, comme la prime Care pour les voitures à faible émission de gaz à effets de serre, qui ne sera sauvegardée que pour les voitures électriques (moins douze millions), ou la baisse de quelques privilèges des fonctionnaires, qui devront désormais par exemple payer 60 euros par mois pour leur parking (au lieu de plusieurs centaines d’euros que ces emplacements souvent en plein centre-ville valent sur le marché privé, économie pour l’État : deux millions d’euros). Un bel exemple de la désorientation qui semble régner sur la politique du gouvernement est la politique familiale et celle en matière de garde d’enfants : quatre ans après que le Premier ministre Jean-Claude Juncker (CSV) ait promis de viser, à terme, la gratuité de la garde d’enfants pour les enfants dont les parents travaillent, et moins d’un mois après l’entrée en vigueur de la première augmentation substantielle de la participation financière des parents, décidée en avril, voilà que Luc Frieden annonce une deuxième augmentation notable. Certes, elle est défendue par la nécessité d’une plus grande sélectivité de la politique sociale, prônée par les organisations patronales et les milieux libéraux jusqu’au sein du CSV, mais elle touche, selon RTL Tele Lëtzebuerg, presque un tiers des enfants bénéficiant des chèques services accueil (17 000 sur 60 000 en tout) : les quatre premières heures de garde ne seront plus gratuites pour les familles touchant plus de 3,5 fois le salaire social minimum. Or, ce sont ces heures de surveillance d’appoint entre la fin des cours de l’enfant et l’arrivée du papa ou de la maman qui travaillent et qui ont un trajet à faire entre le boulot et l’école. Le gouvernement estime cette économie pour les finances publiques à quelque trois millions d’euros. Pour les ménages concernés, les dépenses de la garde d’enfants ont déjà augmenté de manière sensible dès la rentrée – augmentation du tarif horaire et de la participation aux repas pour les parents, baisse substantielle du soutien public aux crèches privées, pour faire économiser huit millions d’euros à l’État. Lorsque le gouvernement a annoncé cette mesure au printemps, les prestataires de services de garde avaient déjà tiré la sonnette d’alarme, mettant en garde devant une désertion de ces services par les classes moyennes et, par conséquent, une ghettoïsation des enfants défavorisés dans les structures publiques, et craignant une baisse de la qualité de l’accueil et des structures dans les crèches privées. Pourtant, malgré cette mesure, le poste des frais de la garde d’enfants augmente quand même de 66,3 millions d’euros en 2013. Rien que le poste « participation de l’État aux frais de fonctionnement de structures privées dans le cadre du chèque service accueil » passe de 48 millions d’euros cette année à 84 millions en 2013. Le Premier ministre explique cette augmentation par l’« explosion » de la population, non pas par les naissances, qui sont assez stables ces dernières années, de l’ordre de 5 600 plus ou moins par an, mais par l’immigration : en 2011, plus de 11 000 personnes ont pris le chemin vers le Luxembourg, selon le Statec, presque le double de 2010 – et elles viennent souvent en famille, avec des enfants en bas âge. « Il est normal que nous nous occupions alors aussi de leurs enfants, » souligna Jean-Claude Juncker, vendredi. Ce seraient ces explications derrière les chiffres – « die Dinge hinter den Dingen » – qu’il faudrait davantage prendre en compte en commentant le budget. Comme notamment aussi une croissance de plus de cent millions d’euros pour le Fonds pour l’emploi, forcément une corrélation de l’augmentation du taux de chômage. Une autre mesure préconisée par les milieux libéraux dans toutes les prises de position concernant la nécessaire politique d’austérité touche les allocations familiales, trop élevées et pas assez sélectives selon eux. Le jour même du dépôt du budget d’État, le 2 octobre, le Luxemburger Wort et RTL publiaient les résultats d’un sondage TNS Ilres dans lequel 69 pour cent des personnes interrogées se disaient favorables à une modification du système des allocations familiales. Ce qui a dû faire bondir Jean-Claude Reding, le président de l’OGBL, qui a lancé cet automne une grande action de sensibilisation de ses membres sur la perte de pouvoir d’achat des familles par la seule mesure de désindexation des allocations familiales décidée en 2006 et qui équivaudrait à une diminution de valeur de treize pour cent en six ans, ou 2 000 euros pour une famille avec deux enfants. En 2010, le gouvernement avait en outre supprimé les allocations familiales pour les enfants de plus de 18 ans. « On ne peut pas simplement couper dix pour cent des allocations à tout le monde, comme avec une tondeuse, » estimait Lucien Lux, le président du groupe parlementaire socialiste mercredi, se disant toutefois prêt, comme François Bausch, son homologue des Verts la veille, à réfléchir à l’introduction de critères de sélectivité sociale de ces aides directes. Par contre, la suppression du forfait éducation (Mammerent) pour les femmes qui ont travaillé toute leur vie tout en élevant leurs enfants et ont donc droit à une pension, également proposée par Luc Frieden, serait un no-go pour Lucien Lux, pour les mêmes raisons de sélectivité sociale, car ce serait un encouragement pour les « femmes de riches qui passent leur temps chez Namur ». « Ce gouvernement prouve qu’il n’a aucune vision pour le pays, » s’esclaffa François Bausch lors d’une conférence de presse mercredi, affirmant qu’il faudrait en premier lieu une réforme en profondeur de la politique d’impôts pour ajuster les recettes, « sans ça, si on ne touche qu’aux dépenses, je peux vous garantir que l’État social devra être massacré après les élections de 2014. » Lucien Lux pour sa part veut développer, avec ses camarades socialistes, mais aussi avec le groupe parlementaire du CSV, d’ici début novembre, des amendements au projet de budget, par lesquels la sélectivité de la politique sociale serait augmentée et une plus grande rigueur budgétaire garantie. Comme Serge Urbany, le député de La Gauche, Lucien Lux voit de la marge, par exemple dans une augmentation de l’imposition minimale pour les entreprises, qui, selon la proposition du ministre des Finances, ne dépasserait pas les 10 000 euros pour les très grandes sociétés, même celles dont le chiffre d’affaires se compte en millions d’euros.
Peter Feist
Kategorien: Beschäftigung und Arbeitslosigkeit, Forschungspolitik, Jugend, Lebensniveau, Sozialpolitik
Ausgabe: 12.10.2012