Brexit

L’Écosse sur le chemin de l’indépendance ?

d'Lëtzebuerger Land du 12.02.2021

Lors de la visite controversée de Boris Johnson en Écosse à la fin du mois de janvier, le porte-parole des forces de police écossaises notait qu’un certain nombre de plaintes avait été déposées par des citoyens considérant que le voyage du Premier Ministre britannique représentait une violation du confinement. Il est vrai que Nicola Sturgeon, le Premier ministre de l’Écosse, avait très publiquement exprimé qu’elle ne pensait pas que ce voyage était « essentiel », et que Johnson ferait mieux de rester à la maison. La police expliqua qu’elle ne donnerait pas de suite à ces plaintes, puisqu’il s’agissait d’une « visite de travail [de Boris Johnson] dans sa fonction officielle en tant que Premier ministre du Royaume-Uni. » Le fait que même le chef du Parti travailliste, Keir Starmer, se sentît obligé de venir à la rescousse de Johnson est indicatif de l’inquiétude partagée par les partis unionistes britanniques quant à l’avenir du pays. « Sur ce coup-ci, je suis avec le Premier ministre. Il est le Premier ministre du Royaume-Uni. Il est important qu’il se déplace pour voir ce qui se passe sur le terrain », déclarait Starmer. 

Or, « sur le terrain », depuis juin 2020, vingt sondages consécutifs ont donné le « oui » majoritaire en cas d’un nouveau référendum sur l’indépendance écossaise. Il n’y a pas de doute que la gestion de la crise sanitaire par Nicola Sturgeon et son gouvernement n’y est pas pour rien. Sa dignité et son autorité lors de ses briefings réguliers sont tout le contraire de la sinistre bouffonnerie, qui caractérise les interventions de son homologue britannique. Même le scandale qui continue à diviser son parti, le Scottish National Party (SNP), après l’acquittement de l’ancien Premier ministre, Alex Salmond, accusé de tentative de viol et d’agression sexuelle, semble à peine avoir éraflé la popularité de Sturgeon, bien que son rôle et celui de son mari, Peter Murrell, le directeur exécutif du SNP, dans la gestion de l’affaire ne sont pas hors de tout soupçon de manipulation. Les élections du 6 mai devraient donc se transformer en véritable plébiscite pour les indépendantistes à commencer par le SNP, mais aussi les écologistes du Scottish Green Party. 

L’opposition au Brexit est un autre important catalyseur pour le mouvement indépendantiste. 62 pour cent des électeurs écossais avaient voté pour le maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne lors du référendum de 2016. Le refus obstiné du gouvernement conservateur britannique d’accorder une place au gouvernement écossais à la table des négociations avec l’Union européenne et d’envisager un statut particulier pour l’Écosse similaire à celui de l’Irlande du nord aura fini par convaincre la majorité des Écossais que le Royaume-uni, en dehors de l’Union européenne, n’était plus leur pays. Même économiquement, l’indépendance, au sein de l’Union européenne, ne fait plus tellement peur à la majorité des électeurs, qui observent avec intérêt le modèle nordique. Comme le note l’historien, Ben Jackson dans son ouvrage The Case for Scottish Independence: A History of Nationalist Political Thought in Modern Scotland, paru l’année dernière, le nationalisme écossais n’est pas identitaire et ne prétend pas défendre une culture ancestrale menacée. Les nationalistes écossais affirment que l’indépendance est le moyen le plus efficace de promouvoir l’agenda politique de la gauche à l’ère néolibérale. Ainsi l’indépendance pourrait devenir le moyen de défendre un large éventail de causes progressistes, allant du désarmement nucléaire à l’adoption de positions social-démocrates traditionnelles dans le domaine de l’économie.

Le SNP étant en passe de remporter la majorité aux élections en mai, un nouveau référendum sur l’indépendance parait inévitable. Le SNP a déclaré que, si les partis pro-indépendance remportaient la majorité lors des prochaines élections, le gouvernement écossais serait en droit d’adopter un projet de loi autorisant la tenue d’un référendum sans l’autorisation de Londres. La légalité d’une telle action n’est pas évidente et risquera de causer bien des maux de têtes à Bruxelles. Bien que les nationalistes se disent optimistes sur l’attitude des instances européennes, si une Écosse indépendante venait à poser sa candidature à l’adhésion à l’Union européenne, l’histoire récente devrait les inciter à mettre un bémol à leurs espérances. La rapidité avec laquelle la Commission européenne s’est montrée prête à sacrifier les intérêts irlandais et les acquis de l’Accord du vendredi saint (Good Friday Agreement) lors de la crise des vaccins est un rappel de l’inconstance de l’Europe officielle. Les combattants du Rojava et les démocrates de Turquie en ont tous fait les frais ces dernières années. Mais, c’est peut-être cela le meilleur argument pour une Ecosse indépendante au sein de l’Union européenne. L’Ecosse a certes besoin de l’Europe, mais l’Europe a, elle aussi, bien besoin des progressistes écossais.

Laurent Mignon
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