« État fort »

Imparable

d'Lëtzebuerger Land vom 04.12.2015

Les États européens ont à nouveau un ennemi. Il est hétéromorphe, se cache dans les camps de Daesh en Syrie et dans un bar à Moolenbeek en Belgique ; il est, dans l’imaginaire collectif, terroriste, djihadiste, islamiste, radicalisé, haineux, suicidaire. Il a un nom arabe mais souvent un passeport européen, il a le don d’ubiquité et est parmi nous, hier encore élève lambda d’un lycée de banlieue défavorisée, demain meurtrier d’innocents qui peuvent être frappés n’importe où, n’importe quand. Les peuples européens ont un nouvel ennemi, tout aussi polymorphe que le premier, c’est la folie sécuritaire que provoquent tous les attentats contre les sociétés occidentales et leurs valeurs. La peur panique de ceux qui annulent leurs sorties, leurs voyages, leurs loisirs ouvre grandes les portes à toutes les mesures liberticides qui fleurissent dans l’Hexagone depuis le 13 novembre et font aussi une nouvelle poussée au Luxembourg. Aujourd’hui, les citoyens sont prêts à abandonner des libertés si chèrement conquises pour pouvoir dormir tranquille la nuit, croire leurs enfants en sécurité et leurs biens matériels protégés.

En France, l’état d’urgence décrété dans une première phase pour trois mois permet des incisions violentes à ces libertés, de la possibilité de faire des perquisitions administratives de nuit comme de jour, d’interdire de séjour des personnes susceptibles d’entraver l’action des pouvoirs publics, d’interdire les manifestations et réunions publiques ou la circulation générale, de fermer des salles de spectacle ou de contrôler la presse et les médias... Cela va très loin, et déjà la droite luxembourgeoise demande, par la bouche du chef du groupe parlementaire du CSV, Claude Wiseler, à ce que cet état d’urgence soit également mieux défini au grand-duché. Actuellement, l’article 32.4. de la Constitution stipule seulement que « en cas de crise internationale, le Grand-Duc peut, s’il y a urgence, prendre en toute matière des règlements, même dérogatoires à des dispositions légales existantes. La durée de validité de ces règlements est limitée à trois mois. » Une réforme de cet article est annoncée.

Lorsque la peur règne, les électeurs en appellent à un « État fort », un État protecteur et sécuritaire, c’est imparable. C’est l’heure des politiques de droite que sont même prêts à faire les gouvernements de centre-gauche pour ne pas perdre le pouvoir. Mardi à la Chambre des députés, en voulant prouver le volontarisme de son gouvernement pourtant libéral, le Premier ministre Xavier Bettel (DP) n’a pas exclu que le Luxembourg participe aussi à des actions militaires dans la lutte européenne commune contre le terrorisme. Et il a surtout déposé un projet de loi de son collègue Felix Braz (Déi Gréng), qui renforce une nouvelle fois, après les réformes du début d’année introduites suite aux attentats contre Charlie Hebdo et l’Hypercacher à Paris, l’arsenal de mesures extrêmement intrusives dont disposent les autorités judiciaires pour surveiller les terroristes présumés et ceux qui intenteraient des crimes contre la sécurité de l’État : repérages de télécommunications, rétention allant jusqu’à 48 heures, possibilité de perquisitions 24h/24 et pour les agents d’enquêter sous pseudonyme sur les réseaux sociaux, intrusion dans les système informatiques, sonorisation de lieux et véhicules privés ou publics, accès des officiers de police judiciaire au répertoire de l’ILR...

Ces mesures seront limitées aux cas de menace terroriste grave, insista le Premier ministre, soulignant que le but du gouvernement était de défendre nos libertés contre ceux qui les menacent. Mais le gouvernement doit se laisser reprocher qu’il agit sous le coup de l’émotion (« L’Europe se trouve sous le choc » est la première phrase de l’exposé des motifs). Et que, déjà aujourd’hui, les États ont à leur disposition des technologies de surveillance qui permettraient le contrôle quasi total des citoyens. Or, si les attentats du 13 novembre n’ont pas pu être évités, alors même que la plupart des kamikazes furent fichés en France ou en Belgique, c’est surtout un échec des services de renseignements et de leurs agents.

josée hansen
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