C’est non sans pathos que Claude Meisch évoque le logement abordable comme « un devoir national ». « Nous ne voulons plus exclure [des acteurs], chacun doit y trouver sa place », a déclaré le ministre libéral du Logement lors d’une conférence de presse, ce mercredi. Le CSV et le DP le revendiquent depuis une décennie : « De Privatsecteur mat an d’Boot huelen ». Mais la forme que devait prendre un tel public-private partnership (PPP) était restée vague. C’est à huis-clos qu’un modèle a été concocté au cours des derniers mois, en très proche collaboration avec les lobbyistes du secteur immobilier. Dans le cadre d’un groupe de travail issu du Logementsdësch, le ministre du Logement et ses fonctionnaires se sont réunis à quatre ou cinq reprises avec une demi-douzaine de représentants du secteur : Éric Lux, Roland Kuhn, Jean-Paul Scheuren, Paul Nathan et Michel Reckinger. Ce dernier a profité de son savoir d’initié pour faire la leçon à Nora Back, samedi dernier sur RTL-Radio : « Och do, Madame Back : Liest dat richteg ! Et ass net richteg, wat Dir do sot. » Évoquant « des marges très limitées, mais garanties sur vingt ans », le chef de l’UEL a instruit la cheffe de l’OGBL sur les détails du nouveau modèle PPP, avant que ceux-ci n’aient été présentés à la presse ou aux députés.
Le gouvernement propose un deal aux promoteurs : Qu’ils construisent, à leurs frais et sur leurs terrains, des logements abordables que l’État louera en bloc pour un loyer indexé, situé « knapps ënnert dem Marchéspräiss ». (Le Fonds du Logement s’occupera des locataires et de l’entretien courant.) Au bout de vingt ans, la main publique pourra exercer un droit de préemption, et racheter l’immeuble. Or, l’équation de Meisch comporte trois inconnues : La compensation de loyer, le prix de rachat et l’intérêt des promoteurs.
Alors que les logements abordables sont généralement loués entre quatre et six euros le mètre carré, la moyenne sur le marché privé dépasse désormais les trente euros. « De Gap am Loyer, deen iwwerhëlt de Stat », promet Meisch. Le locataire continuerait donc à payer son loyer plafonné (qui « suffit à peine à financer l’encadrement des locataires », selon Meisch), l’État y ajoutant le triple, quadruple, voire quintuple pour combler la différence. L’ardoise risquera d’être salée, et engagera l’État sur vingt ans (soit quatre mandatures). Le ministre y voit plutôt un avantage : « Déi Subventioun, déi streckt sech an der Zäit. Dat ka fir d’Gestioun vum Staatsbudget och interessant sinn. Mir ginn dovunner aus, datt den direkten impact budgétaire hei däitlech méi niddreg ass ». Aux ministères des Finances et du Logement, les fonctionnaires devront faire leurs calculs. Ceux-ci détermineront les dépenses publiques et les bénéfices privés. En mars, Meisch parlait de profits « raisonnables ».
Jusqu’où ce top-up étatique sur le loyer ira-t-il ? Claude Meisch reste très vague : « Wéi wäit, dat muss ee kucken... » On pourrait le fixer « au cas par cas, région par région », dit-il au Land. Et d’ajouter : « Si on veut que ça tourne, il faut que ce soit quelque part intéressant. Mais pas trop intéressant non plus. » Le président de la Chambre immobilière, Jean-Paul Scheuren, avance un chiffre très concret : « 80 pour cent du loyer de marché, c’est la base sur laquelle nous partons pour nos calculs », dit-il. « C’est le rendement dont nous avons besoin pour que le modèle commence à être intéressant pour l’investisseur. »
Les promoteurs luxembourgeois construisent pour vendre, pas pour louer. Garder les terrains dans leurs portefeuilles sur des décennies, cela ne correspond pas « au modèle d’affaires habituel », admet Meisch. Il dit « pouvoir s’imaginer » une structuration alternative : « Un privé construit, loue à l’État, puis revend à un investisseur, par exemple à un assureur privé ou à un fonds immobilier. Ce dernier aurait ainsi placé son argent sans risques. Cela pourrait être un modèle… » Les promoteurs pourraient vendre un package aux investisseurs institutionnels : L’immeuble avec ses locataires (gérés par le Fonds du Logement) et ses loyers (payés par l’État). Le gouvernement luxembourgeois assurera un rendement sûr et prévisible.
Dès le lendemain des législatives, le manager de Firce Capital avait expliqué aux auditeurs de RTL-Radio que le « Wunnengsmarché jäizt no méi Investoren », surtout « ces grands fonds immobiliers allemands ou anglais » qu’il faudrait attirer au Luxembourg par des avantages fiscaux. Le gouvernement leur offrira un nouveau produit : Une sorte d’obligation d’État adossée à l’immobilier abordable.
Jean-Paul Scheuren ne cache pas son enthousiasme. Il dit qu’une équipe dédiée serait déjà en train de faire la promotion du nouveau modèle PPP auprès des investisseurs internationaux. « Nos clients, ce seront les fonds », dit-il, éventuellement un jour le « Biergerfonds », prévu par l’accord de coalition pour permettre aux épargnants d’investir dans l’immobilier abordable et privé. Scheuren voit grand : « Il faudra des volumes importants. Au moins cinquante millions d’euros, un package de plusieurs résidences… Une résidence de trois millions, cela ne va pas suffire ».
« Le logement est attribué à des locataires remplissant les conditions socio-économiques », promet le ministère. Claude Meisch assure que « le modèle est conçu pour ceux qui sont prioritaires sur les listes d’attente ». (Celle du Fonds du Logement compte 5 996 ménages.) Mais il « n’exclut pas » qu’il pourrait un jour s’ouvrir à d’autres catégories de revenus.
La deuxième inconnue de l’équation meischienne, c’est le prix de revente à l’État. La main publique amortira durant vingt ans l’investissement privé, devra-t-elle de surcroît assurer la plus-value ? Claude Meisch y voit « une situation normale » : « Sur le marché privé, les investisseurs peuvent également faire ce qu’ils veulent de leur propriété, par exemple la vendre après l’avoir loué. » Le prix de revente à l’État pourrait être fixé dans la convention que signeront le promoteur et le ministère. Il pourrait par exemple être inversement proportionnel à la hauteur du loyer, voire au niveau de dégradation de l’immeuble (qui sera à construire selon le cahier des charges du ministère).
Il y a, enfin, une troisième inconnue : Une fois le marché reparti, les promoteurs seront-ils toujours prêts à sacrifier leurs précieux terrains (et à risquer leurs pharamineuses plus-values) pour se lancer dans la nouvelle filière PPP ? Claude Meisch avance prudemment. Le modèle devrait d’abord être « expérimenté » comme projet-pilote, pour « voir si le marché suit ». Il n’y aurait pas d’automatisme, pas de droit à un PPP, mais un appel à candidatures pour déterminer quels projets pourraient convenir : « Si les privés ne participent pas ou si nous avons l’impression que c’est injuste pour l’État, alors nous n’allons pas poursuivre ». L’offre gouvernementale a déjà fait des malheureux : Les artisans et constructeurs se plaignent que le gouvernement laisse la planification et l’exécution des PPP aux nababs de la promotion. Paul Nathan, gérant de Poeckes Construction, plaide « pour qu’on donne une chance aux petits ». Il faudrait éviter que ceux-ci se fassent pressurer par les grands. Les artisans et les constructeurs savent d’expérience que leurs marges seront fortement comprimées par les développeurs. « Les divergences au sein de l’UEL ne sont pas mon souci principal », note le ministre. Dans le logement comme dans l’éducation, la rapidité et l’efficience priment aux yeux de Meisch.
Il présente le nouveau modèle PPP comme une manière pragmatique de mobiliser des terrains privés pour le logement abordable : « Si nous ne faisions pas ceci, ils resteraient en main privée ; soit rien ne s’y passerait, soit des logements très conventionnels y seraient créés. » Le ministre n’a pas voulu franchir une ligne rouge : Le bradage de la réserve foncière publique. (Le gouvernement fait pourtant un petit geste symbolique envers les promoteurs ; ceux-ci pourront construire de l’abordable sur deux terrains publics.) « L’État ne dispose pas d’une réserve infinie de terrains publics sur lesquels on pourrait rapidement construire », a-t-il tenu à « souligner » lors de la conférence de presse. L’État devrait étoffer sa réserve, et devenir un acteur plus important sur le marché « fir méi staark kënnen ze dirigéieren ».
Le modèle initialement proposé par la Chambre des métiers a été rejeté. Selon cette « solution de rechange au monopole public du logement abordable », l’État devrait apporter ses terrains (en emphytéose) et verser des aides à la pierre (75 pour cent des coûts). Pour sucrer le tout, le lobby demandait un « incitatif fiscal qui augmente le rendement net ». C’était un peu trop demander, même au gouvernement Frieden, probablement le plus libéral depuis le gouvernement Bech (1926-1937). Jean-Paul Scheuren relate : « Le ministre nous a dit : ‘Non, ça suffit. Dir kënnt net alles kréien.’ »