Créée en 2010, l’Autorité bancaire européenne, qui siège désormais à Paris pour cause de Brexit, a été chargée entre autres missions de soumettre les banques de l’UE à des tests de résistance. Quatre vagues ont déjà été réalisées en 2011, 2014, 2016 et 2018, laissant à chaque fois l’impression confuse que les banques testées s’en tiraient à bon compte et que, comme dans l’École des fans, une célèbre émission de télévision des années 80 où concouraient des enfants, tout le monde avait gagné. Ce qui fut justement le cas du dernier stress test, dont les résultats ont été publiés en novembre 2018, où aucune des 48 banques testées n’a échoué !
Ce sentiment est confirmé aujourd’hui au plus haut niveau : dans un rapport publié le 10 juillet* et passé quelque peu inaperçu, la Cour des comptes européenne, établie à Luxembourg, a sévèrement épinglé la vague 2018 et proposé d’importantes corrections pour les suivantes.
Ces tests sont des simulations comptables permettant de voir, sur la base de scénarios financiers ou économiques extrêmes, si les banques détiennent suffisamment de fonds propres, une exigence déjà ancienne mais devenue cruciale depuis la crise économique et financière de 2008.
Pour réaliser sa quatrième vague de tests, l’ABE a soumis les comptes 2017 des banques à deux hypothèses d’évolution, dont une particulièrement « noire » : chute de 2,7 pour cent du PIB européen entre 2018 et 2020, accompagnée d’une montée du taux de chômage de 3,3 points, de risques économiques liés au Brexit et d’une chute des prix de l’immobilier. Quarante-huit banques issues de quinze pays, y ont été soumises, dont 33 de la zone euro, mais aucune au Luxembourg.
Pour le croate Neven Mates, membre de la Cour des comptes européenne responsable du rapport, ce test aurait dû être plus sévère, car les chocs simulés étaient moins violents que ceux subis lors de la crise financière de 2008 et que le scénario défavorable utilisé ne reflétait pas de manière satisfaisante l’ensemble des risques, notamment systémiques, pour le système financier de l’Union.
D’autres critiques sont soulevées. Le nombre des établissements examinés était réduit (48), de même que celui des pays (quinze). Toutes les banques vulnérables n’ont pas été soumises au test : ainsi en Italie, où la fragilité des banques est connue depuis longtemps, seules les deux plus grandes ont été testées !
Bien que l’ABE ait publié une quantité impressionnante de données, certaines informations-clés, comme les exigences de fonds propres pour les nouveaux actifs, faisaient défaut. Le scénario défavorable était moins sévère dans les pays où l’économie était plus faible et le système financier plus vulnérable. Ainsi la réussite au test pouvait dépendre d’un « niveau de tension » plus modéré et non d’une meilleure solvabilité, alors que le test de 2018 était présenté comme plus dur que le précédent.
La Cour des comptes incrimine les « ressources très limitées » de l’ABE et la complexité de son système de gouvernance qui la rendent incapable de mener à bien toute seule, dans un délai assez court, une telle tâche, qui fait intervenir de nombreuses parties prenantes.
De ce fait, elle s’est largement appuyée sur les autorités nationales de surveillance, elles-mêmes adeptes de la « méthode ascendante » et sur la Banque centrale européenne, alors même qu’elle n’était pas en mesure de les superviser efficacement. De plus selon le rapport « au début du processus, l’ABE n’a précisé ni les risques ni le degré de sévérité qu’elle estimait pertinents pour le test de résistance », les scénarios ayant été élaborés par le Comité européen du risque systémique (CERS).
En conséquence, « la conception ainsi que la mise en œuvre du test de résistance péchaient par un manque de dimension européenne, une manière de procéder qui n’a guère permis de garantir la comparabilité, l’objectivité et la fiabilité des résultats enregistrés pour les banques dans les différents États membres ».
La Cour des comptes européenne ne s’est pas penchée sur les stress test antérieurs à 2018, mais ces derniers avaient déjà essuyé de vives critiques des professionnels de la finance, des agences de notation et de la presse.
En juillet 2010, avant même que l’ABE ne démarre son activité, le Comité des régulateurs européens (CEBS) avait organisé des tests de résistance très controversés auprès de 91 banques européennes. En plein cœur de la crise, seules sept d’entre elles avaient échoué, dont cinq petits établissements espagnols et leur recapitalisation portait sur 3,5 milliards d’euros, un montant plus modeste. Parmi les 84 banques ayant passé les tests avec succès, plusieurs se situaient exactement à la limite requise, ou très légèrement au-dessus, dont de nombreuses caisses d’épargne allemandes et espagnoles.
À l’époque de nombreux analystes avaient trouvé ces tests bien indulgents, surtout par comparaison à ceux menés aux États-Unis en 2009, où dix banques sur 19 avaient été recalées. Ils faisaient observer qu’aucun établissement européen coté n’avait échoué, ne dissipant aucune des craintes qui existaient alors. De fait, dès le mois de novembre suivant, le gouvernement irlandais dut mettre en place un plan de sauvetage bancaire de 85 milliards d’euros dont 35 destinés à recapitaliser les quatre principales banques du pays, qui avaient pourtant passé sans encombre les tests de résistance menés quelques mois plus tôt !
Dès l’année suivante l’ABE tout juste créée promettait des tests plus sérieux. Mais la publication, en juillet 2011, de sa première vague de résultats a suscité une grande déception. Tandis que le Financial Times trouvait l’exercice « pas assez dur pour restaurer la confiance des investisseurs dans le système financier de l’eurozone », un expert reconnu comme Georges Ugeux déclarait même que « les stress tests des banques européennes constituent un faux ».
Sur le même total de 91 banques, représentant 65 pour cent des actifs bancaires européens, à peine neuf établissements, dont à nouveau cinq espagnols (mais aussi deux grecs, un autrichien et un allemand) étaient recalés, et les sommes totales à ajouter à leurs fonds propres s’élevaient à seulement 2,5 milliards d’euros. « Des montants de pacotille » selon Ugeux, qui faisait observer qu’au même moment « l’encours de la dette sur les trois pays les plus menacés – Portugal, Grèce et Irlande – représentait environ cent milliards d’euros pour les seules banques européennes, et au moins le même montant pour la BCE ». Pour lui, « il aurait mieux valu ne rien faire que de se livrer à des stress tests qui jettent encore plus le discrédit sur les dirigeants européens ». À nouveau, quelques mois plus tard, l’Espagnole Bankia, qui avait pourtant réussi le test de 2011, se retrouvait en situation de quasi-faillite. Goldman Sachs avait publié à l’époque une note de recherche indiquant qu’avec des hypothèses plus dures mais plus réalistes que celles de l’ABE cinquante banques européennes sur 91 pourraient échouer aux tests, impliquant un besoin de recapitalisation de près de 300 milliards d’euros !
L’année 2014 devait en principe marquer un tournant. Publiés fin octobre, les tests avaient été étendus aux 123 banques, pesant 85 pour cent des actifs bancaires européens, dont la BCE s’apprêtait un mois plus tard à assurer la supervision en direct. Conçus avec l’aide du cabinet privé Oliver Wyman, ils avaient été précédés d’un examen de la qualité des bilans (asset quality review, AQR)
Mais la déception allait de nouveau être au rendez-vous. À la fin décembre 2013, 25 banques, essentiellement d’Europe du Sud, avaient été invitées à se recapitaliser à hauteur de 25 milliards d’euros. À l’automne suivant, treize n’avaient pu y parvenir mais il fallait encore soustraire de ce nombre les établissements en restructuration comme Dexia, de sorte que seules huit banques ressortaient avec une insuffisance de fonds propres, pour un total inférieur à sept milliards d’euros. Parmi elles l’emblématique Monte dei Paschi di Siena, mais aucun autre grand nom bancaire ne figurait dans la liste et les observateurs regrettaient l’insuffisante prise en compte de certains risques, comme celui de déflation ou de krach boursier, dans les scénarios de crise.
Changement de modèle en 2016, avec la publication fin juillet des résultats des tests lancés cinq mois plus tôt. Cette fois, le périmètre des tests se trouvait réduit à 51 banques, représentant 70 pour cent du système bancaire européen, dont 37 issues de la zone euro et directement supervisées par la BCE. La méthodologie restait la même, mais avec des scénarios accroissant le niveau des exigences en capital : ainsi pour la première fois, les tests prenaient en compte l’impact des amendes. Mais, contrairement aux tests précédents où l’objectif d’un minimum de fonds propres avait été fixé de façon uniforme, les résultats étaient supposés servir de base de discussion entre chaque banque et son superviseur dans le cadre du SREP (Supervisory Review and Evaluation Process).
Douze banques se sont avérées « fragiles », soit près d’un quart du total, toutes entravées par des milliards d’euros de créances douteuses, avec cette fois des grands noms comme les Allemandes Deutsche Bank et Commerzbank et la Britannique Barclays. L’ABE se montrait prudente en déclarant que « malgré les augmentations de capital considérables réalisées jusqu’à présent (180 milliards d’euros entre fin 2013 et fin 2015), les résultats des tests ne constituent pas un certificat de bonne santé ».
Les analystes de marché ont réservé, globalement, un accueil plutôt favorable à ces résultats, assez attendus et après lesquels les agences de rating n’ont pas revu leurs notations.
En revanche, KPMG notait que « l’importance de l’impact observé dans tous les pays ne s’explique pas par les scenarii macro-économiques, mais plutôt par l’application d’une méthodologie nettement plus conservatrice ». Les critiques les plus fréquentes était d’une part la non-prise en compte, dans le scénario le plus défavorable, de l’environnement de taux bas ou négatifs, et d’autre part l’absence de seuil explicite de solvabilité pour qualifier l’échec ou la réussite au test et estimer le besoin en capital.
Pour les prochains tests qui doivent avoir lieu en 2020, la Cour recommande, pour le choix des banques, une meilleure couverture géographique et une sélection en fonction des risques systémiques qu’elles présentent et pas uniquement de leur taille. L’ABE devrait aussi définir des « niveaux de tension » minimaux à l’échelle de l’UE et renforcer son contrôle sur le processus d’élaboration et de contrôle de la réalisation du test de résistance. Problème : pour y parvenir, la Cour demande à la Commission de revoir la gouvernance de l’ABE et d’accroître ses ressources, notamment en termes humains. Difficile à mener dans un délai aussi court.